Tout ardennais connait au moins une œuvre de ce peintre : La Tenderie aux Vanneaux ou Le Piégeur. Mais connait-il le nom de ce Rimognat qui bien qu’ayant fait ses études aux Beaux-Art à Paris, vécut et travailla toute sa vie dans les Ardennes, aux alentours de Charleville pour être plus précis ?
Eugène Ernest Damas naît le 9 mars 1844 en sa maison, auprès de la Fosse Saint Quentin à Rimogne, capitale de l’ardoise. Son père Louis Damas est maréchal-ferrant. Sa mère Marie-Jeanne Octavie Lainet est mère au foyer.
Très tôt, Eugène se passionne pour la musique et souhaite apprendre un instrument. Ses parents peu aisés consentent et dès l’âge de douze ans, il se rend à Blombay chez un organiste deux à trois fois par semaine pour y prendre des leçons de violon. Doué, il remporte plusieurs prix. Il est décidé qu’il se rendra chez des cousins à Saint-Saulves près de Valenciennes pour y suivre un enseignement musical poussé.
Or, un jour alors qu’il se trouve à Charleville en compagnie de son père, le jeune Damas est subjugué par des gravures coloriées qu’il découvre dans un café pendant son repas. Il a trouvé sa vocation : ce sera le dessin et la peinture.
Ses parents lui achètent une boîte à couleurs comme on disait à l’époque et voilà notre jeune garçon reparti à Saint-Saulve pour ses études, mais cette fois, à l’Ecole des Beaux Arts de Valenciennes (Anciennement Académie).
En 1862, il devient l’élève du peintre Charles-Gustave Housez (1822-1894). Peu de dessins semblent subsister de cette période pour comprendre l’itinéraire de la technique de Damas.
En 1865 et après trois années d’études, Eugène décide de se rendre à Paris. Sans aucune recommandations et les poches pratiquement vides, il parvient à intégrer l’atelier du peintre Alexandre Cabanel (1823-1889), considéré comme l’un des grands peintres académiques du Second Empire, à l’École des Beaux-Arts de Paris. Il y fait de nombreuses rencontres et se lie d’amitié avec Henri Gervex (1852-1929), peintre favori de l’aristocratie mondaine.
Malheureusement, le père d’Eugène Damas décède. Eugène perd ainsi la pension minimale que lui versait son père pour vivre à Paris. En 1875, il doit rentrer au pays pour aider sa mère et subvenir à ses propres besoins.
Eugène pense alors à se marier et à fonder un foyer. Il épouse une cousine qu’il a connu lorsqu’il résidait à Saint-Saulve. Sur les conseils pressants de quelques compatriotes, le jeune couple s’installe à Charleville, grande ville plus prometteuse pour le peintre en devenir. Madame Damas ouvre un petit commerce de modiste dans le cours Briand, ce qui assure au couple un petit revenu fixe.
À l’extrémité de la cour, le peintre se contente d’un tout petit atelier sujet aux caprices de la météo. C’est là qu’il exécute ses premières oeuvres d’importance : des natures mortes principalement, en 1880, La Nature morte à la bouteille de champagne, Nature morte aux fruits sur une coupe en étain ou encore Nature morte aux prunes. Il veut se montrer peintre de son époque et prouver qu’il a bien retenu les leçons de ses maîtres.
En 1879-1880 alors que le couple connaît d’importantes difficultés financières, Eugène est appelé pour un poste de professeur de dessin au collège Notre-Dame de Rethel. Il sera aussi professeur à l’Institut du Sacré Cœur, Saint-Rémy et Saint Sépulcre, tout en donnant en parallèle des cours du soir.
Bénéficiant désormais de revenu confortable, il peut alors se consacrer pleinement à son art.
Son élève puis ami Paul Guilloteaux dira de lui :
« Il pensa qu’il y avait dans son pays natal une abondante moisson à glaner, une pépinière de paysages assez considérable pour occuper pendant toute sa vie d’artiste sa nature inlassable et capable d’un travail continu. »
Damas devient ainsi le premier peintre paysagiste local. Il se rend le plus souvent possible dans les campagnes pour y planter son chevalet et dessiner ce qu’il voit en direct avec une parfaite maîtrise des couleurs.
Damas vend peu et comprend très vite que pour être connu et apprécié du grand public, il faut exposer. C’est pourquoi il participe régulièrement au Salon de Paris, manifestation incontournable à laquelle tout artiste se doit d’être présent. En 1879, il envoie Une plumeuse, tableau représentant une paysanne plumant une oie.
Damas est maintenant célèbre dans sa région. Le couple quitte alors le cours d’Orléans qui l’a abrité pendant près de vingt ans pour aller s’installer avenue Nationale (Avenue de Gaulle aujourd’hui, maison qu’occupera plus tard le fondateur du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes : Jacques Félix). La nouvelle demeure est construite selon les instructions du peintre, avec un grand atelier avec verrière, donnant sur un jardin privatif. C’est lui aussi qui a conçu le décor de la façade avec des carreaux en émaux de Longwy.
Malheureusement, le peintre profite peu de son nouvel atelier : atteint d’une néphrite, il décède le 4 août 1899 après plusieurs semaines de souffrances. Il est inhumé dans son village natal de Rimogne.
Eugène Damas est ainsi devenu le premier peintre paysagiste local. Il se rendait le plus souvent possible dans les campagnes pour y poser son chevalet et dessiner. Il reproduisait les paysages en direct, tels qu’il les voyait, le plus fidèlement possible. Il utilisait ensuite ces toiles pour représenter les scènes qui nécessitaient plus de temps de création ou des formats de toile plus importants.
Peintre local, Eugène Damas n’a pas oublié que pour se faire connaître même en province, il fallait exposer régulièrement au Salon de Paris pour attirer l’attention des critiques. Ceux-ci étaient souvent sensibles à la peinture de Damas et rédigeaient de bons papiers, même s’il n’a jamais remporté de prix. Pour cela, entre les années 1879 et 1899, il participa à 14 salons avec 15 toiles :
1879 : Une Plumeuse (musée de l’Ardennes)
1882 : Veille de marché (qui était au musée de Sedan avant la Seconde Guerre mondiale et a disparu pendant ce conflit) et T’en auras pas (perdu mais connu par une gravure).
1883 : La Coupeuse de genêts (perdu) qui a valu à Eugène Damas une caricature du dessinateur Stop : La Coupeuse de balais.
1884 : L’Appel au déjeuner (musée de Rouen)
1886 : Leur coin de terre (perdu)
1887 : Retour des champs (perdu)
1888 : Atelier de vanniers (musée de l’Ardenne)
1890 : La Javanaise jouant du rabah (perdu), le séjour d’une habitante de l’île de Java dans la région ardennaise serait à l’origine de ce tableau
1893 : Midi (musée de l’Ardenne), les paysans se reposant à la mi-journée
1895 : Le Piégeur de taupes (musée de l’Ardenne), où l’on retrouve un des modèles favori du peintre, le père Charles.
1896 : Tenderie aux Vanneaux, don au musée de l’Ardenne de Madame Damas en 1900 après la mort de son mari. On remarque aussi la présence du père Charles.
1897 : Les Vanneuses (musée de l’Ardennes), avec une forte influence de Millet avec Les Glaneuses ou l’Angélus.
1898 : La Cueillette des pissenlits (musée de l’Ardenne), témoignage sur les coutumes paysannes, recueillant les fruits de la nature pour améliorer leur quotidien, ce que nous retrouvons aussi dans La Cueillette des champignons.
1899 : La Cueillette des champignons (musée de l’Ardenne), il semble que dans le lointain ce soit le village d’Etion qui est représenté.
On lui doit également trois copies de tableaux religieux exposées dans l’église Saint-Brice de Rimogne sa ville natale : La Descente de la Croix d’après Rubens dans la chapelle Sainte-Barbe (à droite du chœur), L’Assomption d’après Murillo et La Résurrection dans la chapelle dédiée à la Vierge (à gauche du chœur).
En 1887, en compagnie de quelques uns de ses amis dont Alphonse Colle, Eugène Damas fonde l’Union Artistique des Ardennes. Cette société artistique devait établir des liens de fraternité entre les artistes, nés ou domiciliés dans les Ardennes. Elle devait propager le goût des Arts, encourager et aider les jeunes artistes. Des expositions devaient avoir lieu à Charleville, Mézières, Sedan ou autres villes du département, il était envisagé la création d’un Musée.
La première assemblée générale eu lieu le 28 mai 1889. La société comptait alors 61 membres actifs (peintres, dessinateurs, sculpteurs, graveurs, architectes). Cette Union Artistique des Ardennes a fêté ses 130 ans en 2018.
de l’Union Artistique des Ardennes
Et pour terminer ce tour d’horizon non exhaustif, cette superbe tête de sanglier peinte en 1883
Photo tirée du livre : Eugène Damas, peintre des Ardennes
À noter encore, que le Musée de l’Ardenne de Charleville-Mézières consacre un espace entier à ce peintre ardennais. Un buste en plâtre de Alphonse Colle représentant Eugène Damas y contemple ses magnifiques toiles.
Remerciements
Sincères remerciements à Messieurs Stéphane Ceccaldi, formateur en histoire de l’art et Alain Tourneux, conservateur en chef du patrimoine : nous avons construit l’essentiel de notre article grâce à leur travail d’enquête minutieux concernant Eugène Damas, peintre des Ardennes.
Sources
Stéphane Ceccaldi et Alain Tourneux : Eugène Damas, peintre des Ardennes
Comptoir des monnaies
Archives départementales des Ardennes
Union artistique des Ardennes
Bibliothèque Gallica
Mairie de Rimogne