Natif de Maubert-Fontaine dans les Ardennes de France, homme exemplaire, brillant universitaire, Docteur ès-lettres, Maître de littérature comparée, poète et écrivain de talent, premier biographe de Rimbaud, combattant, résistant, grand humaniste : l’illustre Ardennais Jean-Marie Carré, « un homme dont la vie entière fut un acte de foi dans la valeur de la modestie et du dévouement » (Raymond Las Vergnas 1902-1994).
Tout commence en automne 2007.
Francis Laux, conteur en Ardenne, est à Redu, un petit village belge qualifié également de grande cité du livre. À la recherche de l’ouvrage rare ou recherché, il découvre le livre La vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud, une biographie éditée en 1926 avec pour auteur Jean-Marie Carré. Sa lecture est un ravissement et l’attire vers d’autres textes de l’écrivain.
Consterné en découvrant dans quel oubli abyssal est tombé l’Ardennais Jean-Marie Carré, Francis Laux se lance avec passion, et parfois avec rage, dans la recherche de tout élément pouvant l’éclairer sur la vie et l’œuvre de l’écrivain avec la volonté ferme de le réhabiliter. Au terme de cette aventure, paraît son livre-recueil en 2010 aux éditions Terres Ardennaises où il restitue de façon très méthodique et précise, l’ensemble de la vie et de l’œuvre de Jean-Marie Carré.
« Francis Laux sort de l’ombre un universitaire considérable, humaniste au grand cœur dont l’œuvre majeure fut d’avoir éclairé d’un jour premier la vie et l’œuvre de Rimbaud. »
Yanny Hureaux, écrivain
« Francis Laux contribue remarquablement à bâtir la postérité ardennaise de Jean-Marie Carré. »
Claudine Ledoux, Maire de Charleville-Mézières de 2001 à 2013
Jean-Marie Carré naît le 1er mars 1887 à Maubert-Fontaine dans nos Ardennes de France.
Tout en apprenant le latin avec le Curé Péchenard, il est un écolier très appliqué à l’école primaire de Maubert où il obtient son certificat d’études. Il poursuit au collège Notre-Dame à Rethel puis au lycée Henri IV à Paris où il termine bachelier ès-Lettres.
Jeune étudiant, Jean-Marie Carré enchaîne en 1906 à la Faculté des lettres de Paris et obtient sa Licence ès-Lettres Philosophie, puis l’année suivante, sa licence ès-Lettres langues vivantes anglais-allemand à la Faculté des Lettres de Nancy. Il poursuit et est diplômé d’études supérieures d’allemand en 1908 et devient, la même année, Lecteur à l’Université de Halle en Allemagne. En 1920, il réussit l’agrégation d’allemand et obtient son Doctorat ès-Lettres l’année suivante.
1920 est aussi l’année de son mariage à Lyon (13 juin) avec Paulette Joubin. De cette heureuse union naîtront trois enfants : Denyse Marie, Marine Josette Yvonne dite Marielle et Alain Jean Paul. Son épouse lui fait découvrir et aimer la ville dont elle est si fière et où Jean-Marie Carré professera toute la première partie de sa carrière.
L’homme
Jean-Marie Carré a hérité de son père ardennais un goût vif pour la musique et la peinture, et de sa mère d’origine luxembourgeoise la passion des lettres.
C’est un adulte infatigable et d’une enthousiaste curiosité, d’une jeunesse contagieuse, ouvert d’esprit et de cœur.
Tout au long de sa vie, il est décrit comme un homme très sociable et d’un caractère gai ayant le sens de la communauté humaine. Il est une plume alerte, d’une érudition et d’une objectivité qui forcent le respect et possède une intelligence rare.
Affectueux, spontané, Jean-Marie Carré est le compagnon de la minute présente, ami dans la joie et les heures difficiles, compréhensif et cordial. D’une personnalité riche sans ostentation, un esprit curieux, toujours éveillé.
« Patriotisme et cosmopolitisme, sens de la communauté humaine et goût de l’individualité, se fondent dans les livres comme dans le tempéramment de cet écrivain à la plume alerte, cachant sous une réelle facilité une érudition et une objectivité qui imposent le respect. »
Jacques Voisine 1914-2000
Son entourage dit de lui qu’il est le meilleur des collègues et le plus dévoué des amis.
« Il avait un pouvoir de rayonnement, cette chaleur d’âme et cette joie de l’entreprise que l’on désigne aujourd’hui si mal par le vilain mot de dynamisme et qui étaient pour tous ceux qui l’approchaient un fortifiant et un levain. »
Maurice Boucher 1885-1977
Son courage fut parmi les plus hauts courages :
« Qui éleva la voix, le jour où le Doyen d’alors annonçait à la Faculté des Lettres, les mesures qu’il allait devoir prendre par ordre contre les professeurs Juifs ? Une voix s’éleva, toute seule dans cette vaste assemblée attristée et lasse. C’était celle de Carré. Je pense qu’elle a suffi pour que dans cette basse tragédie, l’auguste honneur de l’Université française fût sauvé. Son action dans la Résistance continua cet acte, comme sa bravoure dans la guerre l’avait précédé. »
Jean Whal 1888-1974
Le professeur
Jean-Marie Carré débute sa carrière en 1909 en tant que professeur d’allemand au lycée du Puy. Puis il enseigne successivement à l’Institut français de Londres (1910) et de 1912 jusqu’en 1914 à la Fondation Thiers où il est pensionnaire.
Simultanément, il prépare sa thèse sur Goethe en Angleterre. Le livre achevé lors de la déclaration de guerre, ne sera publié qu’en 1920.
Mobilisé à partir d’août 1914, Jean-Marie Carré est nommé Sous-Lieutenant au 18ebataillon de Chasseurs à pied, puis Officier Interprète en 1915 à la 4e Division d’Infanterie et jusqu’en 1917 au 1er Corps d’Armée. Il terminera comme Capitaine interprète au Grand quartier général. Il sera décoré plus tard de la Croix de Guerre avec deux citations. Son livre Histoire d’une Division de couverture (la Division des Sangliers) sera tiré de son journal de campagne couvrant la période de août 1914 à janvier 1915.
La guerre terminée, Jean-Marie Carré est à nouveau pensionnaire à la Fondation Thiers à compter de mars 1919, jusqu’à sa nomination en janvier 1920 à la Faculté des lettres de Lyon en tant que Maître de conférences de langue et littérature.
Avec « mention très honorable » pour son Doctorat ès-Lettres, il est missionné en 1922 en tant que professeur auprès de l’Université Columbia à New-York et conférencier officiel de l’Alliance française.
Dès sa fondation en 1925, il adhère à la Société des Écrivains Ardennais et participera aux différents événements comme le centenaire de naissance de Hippolyte Taine à Vouziers en 1928 et l’inauguration du monument des Quatre Fils Aymon à Château-Regnault (Bogny) en 1950.
Jean-Marie Carré devient Professeur à la Faculté des Lettres de Lyon à partir de 1927 et également Professeur au cours internationaux de Davos en avril 1929.
Excellent conférencier de l’Alliance française, il enseigne la littérature comparée au collège de Middlebury (États-Unis) pour la période estivale de 1929.
Ambassadeur des lettres françaises, il est nommé Professeur de Littérature française et Directeur des études françaises à l’Université Royale du Caire jusqu’en 1933. De ces trois années et de sa découverte passionnante de l’orient naît son livre Voyageurs et écrivains français en Égypte publié une première fois en 1932.
De juin à août 1935, il est professeur de Littérature comparée à l’Université de Standford aux États-Unis.
À partir de cette année 1935, Jean-Marie Carré devient Directeur de la Revue de littérature comparée, revue universitaire trimestrielle fondée en 1921 par Fernand Baldensperger et Paul Hazard. Sa publication sera volontairement interrompue en mai 1940 pour mieux reparaître en 1946 :
« Paraître sous l’occupation, c’eût été se mutiler, se condamner à n’examiner les influences que dans une seule direction, à n’étudier que des courants à sens unique. C’eût été, en particulier, se taire sur les choses d’Angleterre et d’Amérique. Non, il n’y avait pas de place pour une discipline comme la nôtre dans le prétendu “ordre nouveau”, dans un régime d’autarcie intellectuelle, où l’écritau “verboten” venait, à toutes les avenues, limiter les explorations. C’est en vain que l’Institut allemand de Paris multipliait les invitations, en vain que l’on m’envoyait, à la Sorbonne, les “cahiers franco-allemands”, les brochures éditées par le groupe “collaboration” et tant d’autres publications venus “pour compte-rendu” en ligne droite de Berlin. Nous nous taisions. »
Jean-Marie Carré
L’Institut de Littérature comparée de l’Université de Paris ne s’endort pas pour autant. Il opte pour une vie plus confidentielle et n’affiche plus les sujets de cours.
En 1935, Jean-Marie Carré succède à Fernand Baldensperger en tant que Directeur de l’Institut de Littératures modernes comparées à la Sorbonne et tiendra ce poste jusqu’à sa retraite le 1er octobre 1955 ; il restera toutefois à la Sorbonne en tant que Professeur honoraire jusqu’à sa mort.
Les difficultés diplomatiques du temps font de lui un conférencier missionnaire, chargé d’expliquer les positions françaises aux intellectuels États-Uniens.
En 1950, il est honoré une seconde fois et est fait Officier de la Légion d’Honneur.
Il collabore à de nombreuses revues françaises et étrangères et est à l’origine de la création de l’Association internationale de littérature comparée (A.I.L.C.) en septembre 1955 à Venise et dont il partage la première présidence avec l’Italien Carlo Pellegrini.
Dès le départ, Jean-Marie Carré doit assumer une tâche accablante qui, d’année en année, se complique et s’alourdit. Il est le seul a enseigner la littérature comparée, un domaine qui ne cesse de s’étendre. Il lui faut diriger un Institut qui abrite une importante bibliothèque, apporter sa collaboration aux examens des certificats de licences littéraires, dont certains sont en marge de sa spécialité. Il se doit également de recevoir et de conseiller les nombreux chercheurs qui sous sa direction, préparent une thèse en vue du Doctorat d’État ou d’Université. À cette obligation, s’ajoute la participation à de nombreux comités et co-direction de la Revue de Littérature Comparée.
Après quelques années, les premières défaillances de santé révèlent les menaces avec lesquelles il devra vivre à l’avenir. Pourtant, depuis longtemps, il demandait la création d’une maîtrise de conférence d’Histoire de la Littérature comparée pour alléger sa tâche. Il est bien trop tard quand il l’obtient enfin ; le régime harassant auquel il a été soumis a brisé sa résistance. Il se résigne à prendre sa retraite avant l’heure.
Après la Première Guerre mondiale, Jean-Marie Carré s’unit avec d’autres universitaires pour poser les bases d’une nouvelle réforme de l’enseignement. Ainsi, pendant trois années les « Compagnons » (tel était leur nom) menèrent une campagne en faveur d’une Université nouvelle, une école qui serait adaptée à la région. Son ami Luc écrivait :
« Puisqu’on vit, puisqu’on travaille autrement dans le Nord que dans le Midi, sur la côte que dans la montagne, il faut que l’enseignement, à tous les degrés, soit de la couleur du ciel et du sol, qu’on y sente la présence de la vigne ou celle du charbon, qu’on y respire ici l’odeur de la mer, là celle de la forêt ou du pâturage. »
Avec ses « Compagnons », il s’active à la reconstruction du passé, des souvenirs, de l’intelligence.
« Combien d’enfants et de jeunes gens ont été délaissés, moralement abandonnés pendant l’occupation allemande ? Où en est leur esprit ? »
Jean-Marie Carré
Mais dans l’immédiat, les pensées sont ailleurs. L’Ardennais, laborieux, tenace, s’est remis à la tâche avec son sens des réalités. Les champs, l’atelier, l’industrie, les affaires, voici quelles sont ses priorités.
L’écrivain
L’œuvre littéraire de Jean-Marie Carré est essentiellement basée sur les Ardennes et ses écrivains. C’est d’ailleurs en songeant aux élèves des écoles ardennaises qu’il écrit Les Ardennes et leurs écrivains : Michelet & Taine, Verlaine & Rimbaud. Dix-neuf livres écrits pour lesquels il reçoit cinq prix de l’Académie Française dont les prix J.J Weiss et Gobertainsi que de nombreux articles dans des revues dont la plus importante est celle de Littérature comparée qu’il dirige avec Paul Hazard et Marcel Bataillon.
Dans la préface de La vie aventureuse de Jean Arthur Rimbaud, il écrit en 1926 s’être appliqué « peut-être moins à définir le surhomme qu’à ressuscité l’homme ». L’écrivain Yanny Hureaux considère d’ailleurs que la création majeure de Jean-Marie Carré est « d’avoir éclairé d’un jour premier la vie et l’œuvre de Rimbaud ».
En 1932, il fait publier Voyageurs et écrivains français en Égypte, un ouvrage naît de ses trois années à l’Université Royale du Caire en tant que Directeur des études françaises et de sa découverte passionnante de l’Orient.
En 1947, il écrit Les écrivains français et le mirage allemand et le dédit à la mémoire de ses élèves, victimes du conflit et de la barbarie nazie.
Aujourd’hui encore ses livres sont toujours en vente et régulièrement réédités en plusieurs langues.
« Comme un simple mortel a deux existences, la sienne et celle de ses enfants, un grand écrivain a toujours deux vies, la sienne et celle de ses œuvres. Créer, c’est abandonner à un destin étranger une partie de soi-même, l’exposer à toutes les vicissitudes d’un sort indépendant. Si l’œuvre est grande, elle franchit les frontières du temps et de l’espace. À partir du moment où un homme de génie s’est exprimé dans son pays et dans son époque, on peut dire qu’il s’est livré, sans recours, au monde et à l’éternité. »
Jean-Marie Carré, Goethe après sa mort, Revue de l’Université de Lyon 1933
Jean-Marie Carré était également poète. Voici un poème écrit en 1912 depuis la Toscane.
« Campo Santo
Le cloître tiède et blanc s’emplit de quiétude
Et la lune secoue un peu d’argent pâli
Tout autour des défunts, princes ou gens d’étude
Que peignit sur les murs Benozzo Gozzoli.
Le vignoble biblique et le mont de Moïse
S’encadrent d’un décor somptueux et précis
Où l’on voit — car Florence est maîtresse de Pise
La Babel fantastique et les grands Médicis.
Il passe dans l’air bleu comme un frisson de palmes
La gloire morte bouge et l’ogive reluit
L’Amour vole au dessus des personnages calmes
L’héraldique laurier refleurit dans la nuit.
Et tous, hautains et droits du fond des fresques lentes
Descendent dans la cour, inondés de clarté
Et plissant savamment leurs toges opulentes
S’assoient sur les gazons avec solennité.
Ils tiennent leur sereine et grave académie
Groupés près du laurier chimérique aux fleurs d’or
Et discutent tout bas ce que c’est que la vie
Sous les cyprès, sur la pelouse de la mort. »
Alerté par ses premières défaillances de santé, Jean-Marie Carré a depuis adopté une hygiène de vie très rigoureuse qui consiste, en partie, à cesser les sorties du soir ; sacrifice bien difficile pour un homme qui éprouve tant le besoin de communiquer avec ses amis et collègues.
Malgré tout, il décèdera le 3 janvier 1958 dans son appartement parisien, place du Panthéon et sera enterré à Aresches dans le Jura.
« Tous ceux qui ont approchés Jean-Marie Carré ont été séduits par ses brillantes qualités intellectuelles : l’étendue de sa culture que révélait sa conversation toujours abondante, la finesse de son jugement en matière littéraire et artistique, la fermeté de sa pensée que traduisait son écriture régulière et ferme, sans reprise ni bavure.
Charles-Edmond Perrin 1887-1974
Les qualités du cœur valaient chez lui les qualités de l’esprit ; les sentiments bas lui étaient complètement étrangers et il était toujours un peu désemparé quand il découvrait la jalousie ou la rancune. Sa loyauté, sa gentillesse, son orientation vers les contacts humains, toujours spontanée et non dépourvue d’ingénuité, lui avaient valu des relations nombreuses. À tous ceux auxquels il avait accordé sa sympathie, il réservait un accueil affable ; mais il assignait une place à part à quelques amis privilégiés auxquels il accordait une affection agissante. Ces amis chers à son cœur, il les conseillait, il les aidait, il partageait leurs joies comme leurs peines. »
Toute sa vie, Jean-Marie Carré est resté fidèle à sa terre natale ; toute sa vie, il a porté « l’empreinte des paysages qui l’avaient vu naître. »
Aussi, la Société des Écrivains Ardennais par la voix de l’inlassable Jean-Paul Vaillant, décide d’honorer cet Ardennais convaincu : le 23 avril 1961, le collège de Maubert-Fontaine est baptisé du nom de l’enfant illustre de la commune.
« Grand voyageur, Jean-Marie Carré demeura toujours fidèle à son village natal. Grand universitaire, il n’oublia jamais l’école de Maubert-Fontaine ni le collège Notre-Dame de Rethel (où il eut pour condisciple Louis Jouvet, auquel il dédia son dernier ouvrage : Autour de Verlaine et Rimbaud).
« Dans un de ses livres les moins connus – et sans doute le plus beau – Promenades sur trois continents, « il nous entraîne, avec un mouvement dans le style qui fait participer au voyage, de New-York à San-Francisco, du Delta du Nil à la deuxième cataracte, de Port-Saïd à Ceylan. Eh bien, dans cette île lointaine, à Pointe de Galle, il note : “Les remparts ne sont guère plus étendus que ceux de Rocroi”.
Mais d’abord Jean-Marie Carré a consacré ses deux premières œuvres toutes entières à sa petite patrie :
Il a donné dans la collection des Cahiers de la Victoire en 1920, l’ Histoire d’une division de couverture : c’est son journal de campagne d’août 1914 à janvier 1915, alors qu’il était interprète à la 4e division d’infanterie, c’est-à-dire à la “Division des Sangliers”. Il est dédié à la mémoire des Ardennais morts pour la France.
Un critique sévère, Jean-Norton Cru, a dit de ce journal qu’il était “le meilleur de la catégorie” parce que l’auteur “s’efforce de voir par ses propres yeux, de juger par son propre bon sens et n’accepte de directives ni de l’opinion publique, ni de la presse, ni du milieu dans lequel il vit”. Vous avez reconnu un Ardennais-type.
Son second livre a pour titre : Les Ardennes et leurs écrivains, dont la préface est datée de Maubert-Fontaine, août 1921. “C’est en songeant aux élèves des écoles ardennaises que je me suis décidé à écrire ces pages”, note le jeune professeur. Son grand mérite, c’est d’avoir bien marqué les origines ardennaises non seulement de Taine et de Rimbaud, mais encore de Michelet et de Verlaine. Taine étant né à Vouziers, d’une mère rocroyenne et d’un père rethélois, et Rimbaud à Charleville, leur lieu de naissance portait témoignage. Mais Micheletet Verlaine ne figuraient pas au Panthéon ardennais parce qu’ils n’eurent pas la chance de naître dans leurs pays. Pourtant Michelet est de Renwez par sa mère et il a lui-même précisé : “Il faut croire que ce pays est vraiment le mien. je suis le seul à qui il plaise.” Quant à Verlaine, il a proclamé qu’il était “de vieille souche ardennaise belge”.
Quand la Société des Écrivains Ardennais fut fondée en 1925, Jean-Marie Carré y adhéra avec enthousiasme. Bien qu’absorbé par sa lourde tâche d’enseignant, bien que souvent en mission à l’étranger, il fut des nôtres chaque fois qu’il le put : il était avec nous aux fêtes du Centenaire de naissance de Taine à Vouziers en 1928, et plus récemment, à l’inauguration du Monument des Quatres Fils Aymon à Château-Regnault en 1950. Il a collaboré à plusieurs reprises à La Grive.Vous connaissez la brillante carrière universitaire de Jean-Marie Carré, de la Faculté de Lyon à la Sorbonne. Il fut un maître de littérature comparée et ses travaux sur Goethe font autorité. Mais son grand livre, celui qui lui a valu la notoriété, c’est sa vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud. Quelle antithèse entre l’histoire d’un génie qui se consume à sa propre flamme en quelques années d’une adolescence tourmentée ! Le contraste devait tenter Jean-Marie Carré, mais je gage que Rimbaud l’a attiré surtout parce qu’il était son compatriote et parce que l’enfant prodige de Charleville hissa d’emblée les Ardennais au fronton de la poésie française.
Jean-Paul Vaillant, 23 avril 1961
Jean-Marie Carré laisse une œuvre importante : une vingtaine de volumes, dont cinq ont été couronnés par l’Académie Française, et d’innombrables articles de revues. Il n’a cependant pu accomplir tous ses projets. La maladie a assombri ses dernières années, malgré l’affection d’une compagne admirable dont nous saluons respectueusement la présence à cette émouvante cérémonie.
Au lendemain de sa mort, en janvier 1958, un de ses collègues, Raymond Las Vergnas, écrivait : “Il y a sûrement dans le monde beaucoup de ses anciens élèves qui salueront avec émotion la mémoire d’un homme dont la vie entière fut un acte de foi dans la valeur de la modestie et du dévouement”.
Dans le village qui nous accueille aujourd’hui, grâce à votre aimable invitation, Monsieur le Maire, nous ressentons intensément la même émotion. L’hommage que vous rendez à Jean-Marie Carré est celui qui était susceptible de le toucher le plus profondément. Son nom sur la façade de votre groupe scolaire prend valeur de symbole. Il continue d’enseigner.
Citoyen du monde, Jean-Marie Carré avait gardé chevillés au cœur l’amour de la France et l’amour des Ardennes. Les écoliers de Maubert peuvent s’inspirer de son exemple et je vous remercie, Monsieur le Maire, Messieurs les conseillers municipaux, au nom de la Société des Écrivains Ardennais, de votre pieuse initiative.
Grâce à Francis Laux, à son travail méticuleux et précieux, à sa persévérance, à sa foi en ce qui est juste, la mémoire de Jean-Marie Carré sort de l’abîme, de ce vide sans mesure et fuse en pleine lumière. Il présente ce grand pédagogue dans son recueil Jean-Marie Carré, l’illustre Ardennais aux éditionsTerres Ardennaises en 2010. La même année, une plaque honore la mémoire de l’illustre Ardennais sur sa maison natale au numéro 22, route de Charleville à Maubert-Fontaine.
« Son exposition à la Médiathèque du 6 au 30 avril 2010 et sa conférence à l’auditorium, le vendredi 2 avril ont permis au public de la Médiathèque Voyelles, de découvrir cet illustre ardennais. Dix vitrines contenaient les ouvrages de Jean-Marie Carré, dont deux manuscrits : une lettre d’Ernest Delahaye et le manuscrit de la vie aventureuse de Jean Arthur Rimbaud.
Médiathèque Voyelles de Charleville-Mézières
Ces événements officialisent la création d’un fonds Jean-Marie Carré à la Médiathèque Voyelles. La Médiathèque Voyelles prêtera prochainement ces documents à d’autres bibliothèques ardennaises (Sedan, Maubert Fontaine…) »
Le mot de Francis Laux
« Le patrimoine est un héritage d’une admirable richesse. Il témoigne de la formidable activité de nos aïeux. Il ne se compose pas que du bâti, son côté culturel y prend une place importante. Des compatriotes furent considérés comme des gloires et honorés en leur époque mais inexorablement effacés par le temps. D’autres eurent la chance, à l’exemple de Chanzy, d’être statufiés sans pour autant qu’on sache forcément aujourd’hui ce qu’ils firent pour ce qu’ils furent. Quant aux pays(es) ardennais(es) qui dégringolèrent de leur piédestal, la raison est simple : la mémoire collective et sélective au fil des décades ne les retint pas. Elles se nommaient Georges Maldague, Marcelle Sauvageot, écrivaient et furent célèbres. Lui, Pierre Neyrac faillit avoir le Goncourt pour L’indifférence perdue et Jean Meslier, le curé athée révolutionnaire au fameux testament, fut cité par Voltaire, etc… Et oui, dans nos Ardennes, il n’y eut pas que Rimbaud pour magnifier la littérature !
Et ce Rimbaud, aujourd’hui poète planétarisé, eut pour premier biographe un Ardennais de Maubert-Fontaine. Son ouvrage produisit un best-seller en 1926, réédité deux fois. Jean-Marie Carré fut un homme exceptionnel en tant que professeur et maître de littérature comparée, voyageur, humaniste, résistant et surtout écrivain, lauréat de cinq prix de l’Académie Française. Tout ceci ne suffit pas pour éviter à cet Ardennais de cœur et de conviction de dormir trop longtemps dans un lit d’oubli.
Une nouvelle naissance lui fut accordée en 2010 lorsque la médiathèque Voyelles lui accorda un fonds et la mairie de Maubert-Fontaine inaugura une plaque sur la maison natale.
“Ardennes Toujours” a produit un énorme travail pour réaliser un article mémorable. Abandonnez-vous à sa lecture pour constater que le titre d’illustre Ardennais n’est pas usurpé. »
Remerciements
Sincères remerciements à l’écrivain Ardennais Francis Laux grâce à qui nous avons découvert Jean-Marie Carré.
Bibliographie de Jean-Marie Carré
ses ouvrages
1908
Leconte de Lisle
1919
In memoriam – Denyse Carré
1920
Goethe en Angleterre
Histoire d’une division de couverture
1922
Les Ardennes et leurs écrivains Michelet & Taine, Verlaine & Rimbaud
1926
Michelet et son temps
La vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud
1927
Images d’Amérique
La vie de Goethe
1928
Les deux Rimbaud : l’Ardennais et l’Éthiopien
1929
La vie de Robert Louis Stevenson
1931
Lettres de la vie littéraire d’Arthur Rimbaud (1870-1875)
1933
Voyageurs et écrivains français en Égypte
1935
Introduction et note d’une édition de : Eugène Fromentin. Voyage en Égypte (1869)
Promenades dans trois continents
1939
La vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud (nouvelle édition revue et augmentée)
1947
Les écrivains français et le mirage allemand (1880-1940)
1949
Autour de Verlaine et de Rimbaud
La vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud (nouvelle édition revue et augmentée)
1951
Autour de Verlaine et de Rimbaud (nouvelle édition)
1956
Voyageurs et écrivains français en Égypte (nouvelle édition revue et augmentée)
ses contributions à des œuvres collectives
1920
L’histoire des Compagnons
1930
Stevenson et la France
1945
La question du Rhin dans la littérature française
1946
Le Rhin dans la littérature française
1951
À propos d’une lettre inédite de Maeterlinck
ses articles
1910
Das tragische Problem Im Demetrius bei Schiller und bei Hebdel
1911
Der Somnambulismus in Kleists Prinz von Homburg
1912
Arthur Rackam
Quelques inédits de Goethe, Wieland, Knebel et Mme d’Einsiedel
Quelques lettres inédites de William Taylor Coleridge et Carlyle à Henry Crabb Robinson sur la littérature allemande
Un ami et un défenseur de Goethe en Angleterre
Madame de Staël et H.C. Robinson, d’après des documents inédits
1913
La correspondance inédite de Harriet Martineau et de H.C. Robinson
The Characteristics of Goethe de Sarah Austin et la collaboration de H.C. Robinson
William Whewell et H.C. Robinson
La première histoire indienne de Chateaubriand et sa source américaine, en collaboration avec F. Baldensperger
Le piétisme de Halle et la philosophie des lumières (1690-1750)
– Sous le pseudonyme de Jean-Marie Recarth :
L’Institut français à Londres
Le 50e anniversaire d’Arno Holz
Marie-Magdeleine et l’évolution du théâtre de Maeterlinck
– Sous le pseudonyme de Jean<Recarth :
Les idées de Gerhart Hauptmann
La saison à Londres
Les ouvrages allemands sur la guerre turco-bulgare
La saison à Wiesbaden
Les grandes interprétations de l’Italie
1914
Un inédit de Fichte
Léon G.Carré
Autour de Goethe et de Carlyle
1916
Madame de Staël, Robinson et Goethe
1921
En marge de Goethe en Angleterre : une lettre du Dr. Carlyle, une de C.H. Lewis à H.C. Robinson
1923
Les États-Unis d’aujourd’hui
Images d’Amérique
Comment l’étudiant américain gagne-t-il sa vie ?
L’opinion américaine et la France
1924
Henry Becque et la politique
Peut-on savoir quand Becque a écrit Les Corbeaux ?
Les souvenirs d’un ami de Rimbaud
Michelet et l’Angleterre
Michelet et ses amis, d’après des documents inédits
Michelet à Lyon
Michelet et Montalembert, d’après leur correspondance inédite
La correspondance inédite de Victor Hugo et de Michelet
La correspondance inédite de Sainte-Beuve et de Michelet
1925
Sur une lettre de Michelet à Taine
Michelet et la guerre de 1870 (d’après des documents inédits)
La Jeanne d’Arc de Michelet et la Jeanne d’Arc de Daniel Stern
Michelet en Hollande
Michelet et les travaux récents
L’évolution du théâtre de Maeterlinck
1926
Maeterlinck et les littératures étrangères
Lamartine et Michelet d’après leur correspondance inédite
Rimbaud a-t-il détruit sa Saison en enfer ?
La pseudo-destruction d’Saison en enfer
Introduction à Stories and sketches by Georges Duhamel
1927
Un article inconnu d’Arthur Rimbaud sur son voyage en Abyssinie
Trois mois dans une université californienne
Goethe à Leipzig
1928
L’Allemagne vue par les écrivains français du xixe siècle
1928-1929
L’Allemagne vue par les écrivains français du xixe siècle
Une vue d’ensemble des États-Unis
1929
Le séjour de R.L. Stevenson en Provence
Stevenson à Davos
Taine en Italie
Comment j’ai été amené à écrire des biographies
Rimbaud au Caire
1930
Les métamorphoses de Plutarque ou les biographies d’aujourd’hui
1931
Les Français en Égypte
1931-1932
Les lettres de la vie littéraire de Rimbaud
Les relations intellectuelles entre la France et l’Égypte
Chateaubriand en Égypte
Goethe, Byron et Shelley
Un Français méconnu : Prisse d’Avennes
La mort de Goethe
Goethe. Sa vie après sa mort
1932
L’Égypte antique dans l’œuvre de Théophile Gauthier
Le voyage de Champollion en Égypte et en Nubie
La première description du temple de Karnak dans la littérature française
1933
La connaissance de l’Égypte en France au xviiie siècle
Goethe après sa mort
1934
Ceylan sous la pluie
Souvenirs d’Égypte
1935
Arthur Rimbaud en Éthiopie. Lettres inédites
1938
Le mal du siècle
Rimbaud marchand d’esclaves
Lettres françaises et portugaises, aujourd’hui
1939
Un portrait de Taine par Guizot
Goethe et Napoléon
1940
Paul Hazard. Son élection à l’Académie française
1945
Le mirage allemand et les lettres françaises
Rééduquer l’Allemagne
Démocratiser l’Allemagne
Aujourd’hui victoire, mais demain ?
La littérature comparée en France pendant l’occupation
Le Rhin dans la littérature française
1946
Recommencement
Littérature et actualité
1947
Les dessins d’Ernest Delahaye
1949
Rimbaud et le problème des Illuminations
Une lettre de Thackeray sur Carlyle
L’Allemagne, l’Angleterre et la France en face de Goethe
Le séjour de Chateaubriand en Égypte
1950
Balzac dans le monde
Note sur Balzac au Japon
La littérature comparée après un demi-siècle
1951
L’Italie de Goethe, de Ruskin et de Taine
Louis Jouvet et les Ardennes
Préface à :T.S. Lindstrom. Tolstoï en France (1886-1910)
1952
Avant-propos à :M.F. Guyard. La littérature comparée
1954
Hommage à Paul Hazard
Notes de voyage en Haute-Égypte
1964
Connaissance de l’étranger. Mélanges offerts à la mémoire de Jean-Marie Carré
Sources
Jean-Marie Carré, l’illustre Ardennais, de Francis Laux, éd. Terres Ardennaises
Vox poetica.org
Cairn.info