Origine
La « Dinde Rouge des Ardennes » est issue d’un dindon sauvage, Meleagris gallopavo, un galliforme issu de la famille des Phasianidae puis de la sous-famille des Meleagridinae.
La famille des Phasianidae, probablement apparue en Asie, est arrivée en Europe occidentale à la fin de l’Oligocène inférieur. Un des deux groupes de Phasianidae passés en Amérique du Nord, vraisemblablement par le Détroit de Bering, a donné naissance aux Meleagridinae.
« Les premiers Meleagridinae sont connus peut-être dès le Miocène inférieur de Floride et de façon certaine dans le Miocène supérieur du Kansas. Le genre Meleagris apparaît dans le Pliocène supérieur et l’espèce M. gallopavo dans le Pléistocène supérieur. » (Cécile Mourer-Chauviré – n°49 de Ethnozootechnie publié en 1992).
Lorsque les Européens rapportent leur découverte dans l’Ancien Monde, ils bouclent alors un voyage qui avait débuté il y a environ 25 millions d’années.
Histoire
Le Meleagris gallopavo porte le nom de Méléagre, prince de Calydon en Etolie, héros antique au sanglier et au tison.
Quant à Gallopavo, il se réfère au coq (Gallus) en raison de sa ressemblance à ce gallinacé et au paon (Pavo) car les mâles de ces deux espèces se pavanent et font la roue.
La domestication du dindon en Mésoamérique remonterait aux alentours de 1 300 avant J.C. Deux sous-espèces ont participé à la réalisation de la forme domestique : Méléagris gallopavo que l’on rencontre essentiellement à l’état sauvage dans le Mexique central selon l’étude de Schorger en 1966 et Mexicana que l’on rencontre dans la région plus septentrionale.
D’après l’étude de Christine Lefèvre et de Marie-Christine Marinval-Vigne pour le n°49 de Ethnozootechnie publié en 1992, en accostant au Honduras le 14 août 1502, Christophe Colomb reçoit en cadeau des autochtones, des dindons domestiqués et autres nourritures ; il serait le premier Européen à avoir vu ces « grosses poules avec des plumes comme une sorte de laine ».
Il reste toutefois plausible que les explorateurs Pedro Alonso Niño en 1499 et Vicente Yáñez Pinzón en 1500 aient découverts des dindons au Vénézuela et les aient ramenés en Europe.
Brillat-Savarin a écrit dans la « physiologie du goût », que le dindon était arrivé en Europe vers la fin du XVIIe siècle, étant importé par les jésuites qui en élevaient en grande quantité dans une ferme près de Bourges… Faux ! Le dindon est arrivé en Europe dès la première moitié du XVIe, avant la création des jésuites (1540) ! D’ailleurs, Rabelais mentionne les poulles de Inde dans son œuvre « Gargantua » dès 1534 !
Il existe peu d’information quant à la place du dindon dans l’alimentation sur la période antérieure à la colonisation européenne.
Après cette période, on sait que des tribus amérindiennes de certaines régions mangent couramment cette volaille et que d’autres la refusent sous prétexte, par exemple, que l’oiseau est lâche et que cette attitude pourrait être contagieuse ; ou encore, parce que le dindon a un rôle important dans la religion comme dans les légendes Zuini (Arizona) où c’est un oiseau sacré.
En revanche, le dindon est très populaire auprès des colons. Parfois gibier d’appoint en périodes difficiles, ils en font également provision vers Noël lorsqu’ils sont nombreux et gras ; salés et suspendus, les volailles sont ainsi conservées pour une consommation au printemps ou à l’été.
En Amérique du Nord, les plumes sont souvent utilisées par les Amérindiens pour confectionner des manteaux, des robes ou des couvertures, également dans divers objets de coiffure ou de cérémonie comme les bâtons de prières. Chez les indiens de Virginie ce sont les pattes de l’oiseau qui sont utilisées comme parure sur leurs oreilles percées.
Les colons emploient également les plumes pour le tissage, la confection des matelas ou autres objets : les ailes servent de balayette, les queues servent d’éventail et on rapporte même que les femmes françaises de Louisiane groupent quatre queues de dindons pour fabriquer une ombrelle !
Le dindon figure aussi dans l’art sous forme de peinture et de sculpture ; il est, selon Schorger, un sujet commun sur les poteries du Nouveau Mexique.
La première célébration de Thanksgiving a eu lieu en 1621 mais le dindon n’en serait devenu le symbole que vers 1800.
Découverte
La découverte de la dinde et son introduction ne sont pas faciles à déterminer faute de zoologistes à l’époque ; et ceux qui l’étaient ne portaient que peu d’intérêt à l’animal.
La dinde apparaît dès le XVIe siècle en Grande-Bretagne, en France, en Tchécoslovaquie et en Allemagne ; aux XVIIe et XVIIIe siècles aux Pays-Bas, en Pologne et en Suède.
Pour la France, la dinde est arrivée d’Espagne probablement via la Navarre : un contrat prouve que Marguerite d’Angoulême (appelée également Marguerite de Navarre) en faisait élever en 1534 dans son château d’Alençon par un fermier navarrais.
La volaille est d’abord nommé Poule d’Inde ou coq d’Inde avec quelques variantes. Puis ces appellations sont abrégées en dinde, l’emploi de ce mot étant certifié en 1600 dans le traité « Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs » de l’agronome Olivier de Serres, qui parle de « l’importun piaulement des dindes », le nom étant à cette époque aussi bien masculin que féminin, usage qui perdure dans bon nombre de parlers populaires.
Les premières dindes mangées en France sont attestées dès 1549 lors d’un banquet donné à Paris en l’honneur de Catherine de Médicis. Un des plus célèbres plats de dinde est celui consommé en 1570 à Mézières dans les Ardennes lors des noces de Charles IX et de Élisabeth d’Autriche.
Concernant nos Ardennes justement, la dinde y arrive au XVIe siècle, lors de la domination des Espagnols dans les Flandres. L’animal deviendra « dindon rouge des Ardennes » vers 1850.
Mais après la Seconde Guerre mondiale, le dindon bronzé d’Amérique ou le dindon blanc de Hollande, jugés plus productifs, se développent au détriment de la variété rustique.
En 1985, il ne restent qu’une cinquantaine de dindes rouges dans les fermes ardennaises lorsque Jean-Michel Devresse, éleveur à Auge, s’intéresse à l’élevage de cette volaille. C’est dans l’une de nos fermes, près de Sedan, qu’il sélectionne son premier dindon et ses deux compagnes qui lui permettront de relancer cette variété de façon significative.
Intégration
Qui perçoit encore l’origine d’Inde dans « dinde » et « dindon » ? Rappelons que ce sont des coqs d’Inde et des poules d’Inde, comme on dit marrons d’Inde, que les voyageurs du XVIe siècle ont rapportés.
D’abord nommé « poule d’Inde » avec des variantes dialectales comme pourdinde, pouldaingue, pouldine et, pour le « coq d’Inde » : copin, codinot, dinot, codin ou codinde. Ce dernier vocable sera masculinisé en dindon tandis que la poule d’Inde sera la dinde. Ces deux appellations perçues comme des noms à part entière prouvent la complète intégration de l’animal.
Lorsque le dindon entre dans les basse-cours, il est loin de faire l’unanimité. Le médecin Charles Estienne (1504-1564) le décrit comme « un vrai coffre à avoine, un gouffre à mangeaille » et le juge sale et hideux. Même s’il lui reconnaît une chair délicate, il insiste sur son côté fade et « de dure digestion ». Il décourage également la consommation d’œuf de poule d’Inde, soupçonnés engendrer la gravelle.
L’animal parvient toutefois à conquérir les basses-cours en quelques décennies et devient commun dans les métaieries françaises d’après Pierre Belon en 1555.
Cet oiseau spectaculaire se retrouve alors sur les grandes tables comme celle de Catherine de Médicis lors d’un festin donné le 17 juin 1549 au logis de l’Évêché de Paris. Parmi plusieurs centaines de volailles commandées auprès de deux marchands rôtisseursdont certains sont qualifiées d’immangeables de nos jours, l’on retrouve « 70 pouletz-dinde et 7 coqsdinde ».
La dinde honore aussi les plus grandes tables ardennaises et même royales puisqu’elle est servie à Mézières le 26 novembre 1570 au repas de noces de Charles IX et de Élisabeth d’Autriche, noces célébrées en la basilique de Mézières. Ayant fort apprécié le goût d’une dinde farcie cuite à la broche, le Roi suggère d’élever cet animal en France.
Le dindon a été rapidement adopté et cela s’explique par le fait que les Européens du Moyen-Âge mangeaient toutes sortes d’oiseaux, même quelques rapaces et charognards. On trouve dans les livres de cuisine médiévaux des cormorans, des cigognes, des hérons, des grues, des cygnes, des paons, etc. Il est possible que la présence du dindon sur les tables d’apparat ait contribué à l’abandon progressif de ces grands oiseaux ; le dindon « offrant le double avantage d’une chair meilleure et d’une acquisition plus aisée pour un prestige de table égal ».
Dans le chapitre des oiseaux de son « Pourtraict de la santé » (1618), Joseph Duchesne écrit au sujet du coq d’Inde :
« c’est une friande, excellente, bonne et saine viande, de facile digestion, de très bonne nourriture (…). Cette viande est aujourd’hui si commune en France, que les bassecours des bonnes maisons, les granges et métairies des villageois en sont pleines ».
Cette volaille est donc élevée dans différentes régions de France entraînant une diversité chez l’animal avec des noms très évocateurs qui rappellent la France profonde : la Noire du gers, la Noire de Sologne, la Noire de Bresse, la Noire de Normandie, le dindon Bourbonnais et… la Rouge des Ardennes
La dinde est apparue tardivement sur les tables du réveillon de Noël. Au début du XIXe siècle, il était plutôt présenté une poularde encadrée de saucisses, boudins et autres cochonailles. Plus que la poularde, c’était le porc qui fournissait l’essentiel de ce repas comme c’était déjà le cas au XVIIe siècle si l’on se réfère au « Noël bourguignon » écrit par La Monnoye qui ne parle que de boudin et d’andouille. Pour le grand repas de Noël, l’on consommait plutôt de la viande de boucherie.
L’arrivée de la dinde sur la table festive, celle de Noël en particulier, est un important marqueur de sa bonne intégration.
Avant son apparition régulière à Noël, on retrouve la dinde au début du XIXe siècle à la Saint-Martin (11 novembre), autre fête gourmande ; elle remplace l’oie réputée moins fine et moins digeste et traditionnellement sacrifiée. La dinde est devenue l’oiseau de la Saint-Martin comme le bœuf a toujours été celui de Saint-Luc.
Aujourd’hui, la consommation de dinde occupe une place importante en France et dans les pays ayant développé une aviculture industrielle et la douairière, comme l’appelait Grimod de La Reynière, devant céder le pas à des productions reconnues plus « rentables », a bien failli s’éteindre.
Renaissance
L’existence de notre « Dinde rouge des Ardennes », couleur de forge, est sauvée presque in extremis par un homme : Jean-Michel Devresse.
Aviculteur installé à Auge depuis 1976, Jean-Michel Devresse s’interroge sur l’évolution de son exploitation : augmenter son élevage de poules pondeuses à 8 000 bêtes ou se lancer sur un segment de marché aux possibilités non encore exploitées et où la concurrence est réduite ?
Lui revient en mémoire un article soigneusement conservé du magazine « Rustica » au sujet du dindon des Ardennes. Certainement le déclic.
C’est chez un viel éleveur Sedannais, Monsieur Roger Violette, qu’il achète un mâle et deux femelles, rares rescapés de cette dinde rouge. Pour éviter la consanguinité, d’autres animaux d’origines différentes viendront étoffer le trio initial.
Le dénominatif officiel des Ardennes l’autorise à diversifier sa production et lui permet de s’appuyer sur l’image de produit du terroir.
Souhaitant partager les bénéfices de cette résurrection, Jean-Michel Devresse promeut la « Dinde rouge des Ardennes » auprès d’autres agriculteurs qui le rejoignent en 1994 pour développer et soutenir la production ; sous cette impulsion, l’ « Association des Producteurs des Dindes rouges des Ardennes » est créée en 2006.
En 2010, Jean-Michel Devresse transmet son savoir-faire à Isabelle et Cyriaque Godefroy, qui élèvent déjà de la dinde rouge depuis une dizaine d’années dans la commune de Renneville.
En mars 2016, lors du Salon de l’Agriculture, l’« Association des Producteurs des Dindes rouges des Ardennes » reçoit le premier prix national de la « Fondation du Patrimoine » pour l’agro-biodiversité animale, récompensant ainsi les efforts menés pour préserver les races agricoles françaises domestiques à faible effectif.
« Grâce à l’obstination de Jean-Michel Devresse, un véritable produit du terroir ardennais a repris vie ».
Jacques Lambert, Président de « Terres Ardennaises »
Mais la production de la « Dinde rouge des Ardennes » reste fragile et ne tient qu’à la motivation des aviculteurs qui ne sont plus que cinq dans le département.
Caractéristiques
Comment vous décrire « La Dinde rouge des Ardennes » ? En imitant Jacques Lambert, auteur de l’article « La dinde Rouge des Ardennes » (Terres Ardennaises n°57 de décembre 1996) qui reproduit presque intégralement la réponse de Monsieur Rousset, Président fondateur du « Club français des races ardennaises », en août 1927 faite à un abonné du journal « La propérité de la campagne » :
« C’est sans doute le résultat d’un croisement de dindon sauvage du Mexique avec un dindon noir qui a produit le dindon rouge. La pigmentation noire aurait été absorbée par le brun, seul le blanc aurait subsisté ; à mon avis le blanc de la queue et des ailes peuvent s’atténuer et non disparaître complètement ou alors c’est le noir qui reparaîtrait. Le roux seul ne peux exister ; c’est une loi fondamentale de la pigmentation concernant les volailles.
…/…
(…) Le dindon rouge des Ardennes est un oiseau magnifique, au plumage roux, qui a l’avantage d’être en même temps un animal de produit et un oiseau d’ornement très décoratif dans un parc.
Voici les caractères du dindon rouge dans les Ardennes : la tête est longue, le bec fort et blanc, c’est-à-dire la teinte de la corne sans couleur, l’œil est noir cerclé de rouge.
Le cou et la tête sont dépourvus de plumes, la peau apparaît fine, dénudée (nudité céphaliques) et de couleur rouge recouverte de productions variqueuses allant en grossissant jusqu’à la base du cou et très accentuées chez le mâle.
Le bec porte à sa base un appendice rouge et charnu ; chez le dindon, il est très développé, retombant sur le côté de la tête lorsque ledit appendice érectile est dilaté.
En outre, la couleur des caroncules, c’est-à-dire l’excroissance et les végétations variqueuses, change, variant entre le blanc et bleu et le rouge.
Sous le bec pend un seul barbillon très développé chez le mâle et changeant également de coloration. Le cou est moyen, très légérement recourbé en arrière. Le dos est long, incliné vers la queue, la poitrine très développée, saillante, arrondie et large.
Sur la poitrine, à la base du cou, se trouve chez le mâle adulte un pinceau de poils longs et raides semblables à du crin noir. Le corps est long, bien arrondi, les ailes très larges, mais bien repliées ; la queue assez longue et portée dans le prolongement de l’inclinaison du dos ; celle du mâle s’épanouit en éventail et doit présenter une forme arrondie.
…/…
Les cuisses sont épaisses et fortes ; les tarses de moyenne longueur et très robustes, capables de marches soutenues ; les doigts sont au nombre de quatre, trois grands en avant et un petit en arrière. Le mâle adulte a des éperons comme chez le coq. Tarses et doigts sont de couleur rose vif.
Monsieur Rousset, Président fondateur du « Club français des races ardennaises »
La couleur du plumage du dindon rouge des Ardennes doit être roux (exactement la teinte de la rouille fraîche), mais non pas la couleur de la poule Rhode-Island.
Les plumes du mâle, particulièrement sur le dos, sont à reflets métalliques dorés.
Enfin, chez le mâle, les plumes sont bordées d’un mince filet brun très foncé ayant l’apparence du noir.
Le roux de la queue est plus clair et les grandes plumes des ailes sont blanches plus ou moins ombrées de roux.
Le plus roux possible est le mieux.
Chez la femelle, le roux est plus clair sans reflet métallique ni liseré du bord des plumes. Les grandes plumes des ailes et celles de la queue sont blanches également plus ou moins ombrées de roux comme chez le mâle, le plus roux possible est le mieux.
(…) La ponte de cette variété de dindons est remarquable. La dinde est bonne mère et conduit ses poussins avec beaucoup d’adresse. La chair est excellente, prenant bien la graisse.
Les dindons rouge produisent enfin un duvet très estimé, de couleur jaune très pâle, très recherché et qui se trouve sous la poitrine, l’abdomen et le côté des cuisses. Ces plumes sont désignées sous le nom de marabout. »
Reproduction et Nidification
« À l’époque des amours, le dindon parade en gloussant et en étalant fièrement les plumes de sa queue.
Sur sa poitrine, l’accumulation de graisse forme un appendice appelé éponge pectorale. L’oiseau vit sur cette réserve de graisse et mange très peu.
Après la saison de reproduction, le mâle est à nouveau mince. Chaque mâle essaie de séduire le maximum de femelles et combat avec les autres mâles pour le contrôle du harem.
La femelle fait son nid en grattant une légère cuvette dans le sol. Elle la garnit de feuilles sèches et y pond de huit à quinze oeufs.
Les poussins, ou dindonneaux, portent un duvet moucheté de gris. Des plumes remplacent rapidement ce duvet, mais ce plumage change dès le mois d’août et les jeunes acquièrent leur plumage adulte à la fin de l’année.
…/…
Sous l’oeil attentif de leur mère, les dindonneaux se déplacent avec les femelles jusqu’à l’âge de trois mois,puis les gros mâles et les femelles plus petites forment ensuite des groupes séparés. »
oiseaux.net
Production
La dinde occupe désormais une place importante dans la consommation des viandes en France. Elle est un produit haut de gamme, festif et frugal souvent utilisée dans les fêtes de famille.
Il y a certes la production intensive de dinde correspondant au rôti, à l’escalope et à tous les autres produits transformés et qui a vu le jour dans les années 1960, mais il existe en parallèle une production plus traditionnelle et saisonnière.
De mars à septembre, la dinde reproductrice pond une cinquantaine d’œufs. Les dindonneaux reçoivent une nourriture spéciale pendant les premières semaines.
Un peu avant leur crise du rouge qui survient vers 10 à 12 semaines, période difficile pendant laquelle les crêtes et les caroncules commencent à rougir, leur alimentation est enrichie en protéines animales.
Élévés sur de vastes parcours extérieurs, les animaux de six mois peuvent atteindre un poids allant de 4kg pour les femelles à 7kg pour les mâles.
Aujourd’hui, la Dinde rouge des Ardennes est recherchée pour la qualité de sa chair ; qualité qui résulte de conditions d’élevage respectant une croissance lente dans des locaux aérés et un vaste espace extérieur.
Son alimentation est composée de céréales de 75 à 90% selon l’âge, de sous-produits de la ferme et de tout ce que l’animal trouve à l’extérieur : « des glands et des des marrons, mais aussi des cerises sauvages, des fraises, des raisins, des faines, toutes sortes de noix, même les fruits des cactus et, dans les régions agricoles, du blé, du maïs et de l’avoine. Ils mangent les graines de balsamine, grignotent les pousses et les herbes tendres, ramassent de leur bec des insectes, des araignées et d’autres petits invertébrés et aiment surtout les sauterelles. » (« Le monde animal en treize volumes » cité par Jacques Lambert dans le n°57 de « Terres Ardennaises »).
L’abattage a lieu à un âge proche de la maturité sexuel, soit plus de 150 jours à 180 jours d’élevage au maximum.
Avant cela, la volaille entre dans une période de finition durant cinq semaines ; elle est cloîtrée et nourrie à volonté avec des farines de céréales et du lait. Ce régime développe chez elle une fine couverture graisseuse compensant le léger manque de moelleux de sa chair.
Quelques mots au sujet de Jean-Michel Devresse
Passé par le lycée agricole de Rethel puis diplômé d’un BTS « production animale » obtenu à la « Bergerie nationale » de Rambouillet, ce fils et petits-fils d’agriculteurs travaille de 1969 à 1976 dans différentes coopératives ce qui lui permet d’avoir une vue d’ensemble sur le système.
Envie d’indépendance, il s’installe à son compte en 1976 :
« Je voulais être indépendant et vivre en faisant de la vente directe aux consommateurs (particuliers, restaurateurs, petits commerces) ou par un seul intermédiaire. »
Moins de dix ans plus tard, il s’interroge sur l’évolution de son exploitation ; plutôt que d’augmenter son élevage de poules pondeuses il décide de se lancer sur un segment de marché aux possibilités non encore exploitées et où la concurrence est réduite.
Il se souvient d’un sujet avec photo sur le dindon des Ardennes dans un numéro du magazine Rustica :
« Le coup d’œil a été décisif. Un très bel animal au plumage rouge fauve qu’on n’avait jamais élevé pour sa chair. Ça a tout de suite fait tilt. »
Le Conservatoire National des races d’animaux de basse-cour a classé la dinde rouge parmi les races prioritaires et notre aviculteur éclairé le sait ; tout comme il sait qu’elle possède officiellement le dénominatif de son département.
« J’ai immédiatement pensé terroir et qualité. »
Il se lance.
En mai 1985, il rend visite à Roger Violette, un vieil éleveur sedanais qui accepte de lui vendre un mâle et deux femelles, rares rescapés de la dinde rouge. Pour éviter la consanguinité, d’autres animaux d’origines différentes viendront étoffer le trio initial.
« On a relancé ce volatile qui n’était conservé que dans quelques fermes locales. Les ventes ont tout de suite été suivies et régulières. »
Début 1990, avec l’aide de la Chambre d’Agriculture, Jean-Michel Devresse est mis en relation avec des spécialistes de la génétique des volailles pour aboutir à une sélection pedigree :
« On a raisonné les accouplements pour éviter la consanguinité. C’est de cette façon qu’on gère les petites populations. »
En 1994, il fédère d’autres éleveurs autour de cette volaille et créé en 2006 l’Association des Producteurs des Dindes rouges des Ardennes dont le but est de sauver cette race en voie de disparition.
Aucun de ses quatre enfants n’assurant sa succession, Jean-Michel Devresse cède son affaire en 2010 à un jeune couple d’éleveurs de Renneville : Isabelle et Cyriaque Godefroy.
Lorsqu’en 2016 il reçoit, en tant que Président de l’Association des Producteurs des Dindes rouges des Ardennes le 1er prix national de la Fondation du Patrimoine pour l’agro-biodiversité animale, c’est l’expression d’une grande reconnaissance des efforts et des résultats positifs obtenus pour préserver notre « Dinde rouge des Ardennes ».
« La dinde rouge fait partie du patrimoine gastronomique ardennais ».
Jean-Michel Devresse
Fables
Dindes
Elle se pavane au milieu de la cour, comme si elle vivait sous l’Ancien Régime.
Jules Renard (1864-1910)
Les autres volailles ne font que manger toujours, n’importe quoi. Elle, entre ses repas réguliers, ne se préoccupe que d’avoir bel air. Toutes ses plumes sont empesées et les pointes de ses ailes raient le sol, comme pour tracer la route qu’elle suit : c’est là qu’elle s’avance et non ailleurs.
Elle se rengorge tant qu’elle ne voit jamais ses pattes.
Elle ne doute de personne, et dès que je m’approche, elle s’imagine que je veux lui rendre mes hommages.
Déjà elle glougloute d’orgueil.
– Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez une oie, j’écrirais votre éloge, comme le fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais vous n’êtes qu’une dinde.
J’ai dû la vexer, car le sang monte à sa tête. Des grappes de colère lui pendent au bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait claquer d’un coup sec l’éventail de sa queue et cette vieille chipie me tourne le dos.
Voici deux fables au même titre ! La première est de Antoine-Vincent Arnault (1766-1834) et la seconde de Jacques-Melchior Villefranche (1829–1904).
Les deux dindons
Deux dindons s’engraissaient dans une métairie ;
Égaux en droits : l’un d’eux croyait pourtant valoir
Bien plus que son confrère. Hé pourquoi, je vous prie ?
Parce qu’il était blanc, et que l’autre était noir.
Aussi Dieu sait quels droits à la prééminence
Par un tel avantage il se croyait acquis,
Toisant son commensal de l’œil dont un marquis
Regarde un homme, de finance.
Vient cependant la Saint-Martin.
Le maître invite sa famille ;
Le maître ordonne un grand festin :
Il célébrait sa fête et mariait sa fille.
Or ce jour de bombance et d’indigestion,
Inscrit par La Reynière au rang des jours célèbres,
Est pour la basse-cour un jour des plus funèbres.
Le poulailler fut mis à contribution.
Dans le garde-manger dès la veille on admire
Deux compagnons de truffes parfumés.
Lequel des deux fut blanc ? on ne saurait le dire,
Car tous les deux étaient plumés.Ainsi, sous l’éclat dont il brille,
Antoine-Vincent Arnault (1766-1834)
Tel homme paraît sans égal,
Jusqu’au moment triste et fatal
Qui pour jamais nous déshabille.
Les deux dindons
Un gros dindon à taille rebondie,
Portant haut son jabot et sa queue arrondie,
Se promenait d’un pas égal
Et gloussait d’un air doctoral.
Les autres admiraient sa grâce et sa noblesse ;
Cette stupide nation
A toujours prodigué son admiration.
Un d’entr’eux, maigre et sec, et méprisé par suite,
Se jura de se faire applaudir à son tour,
Et pour y parvenir bien vite,
Ni trêve, ni repos, il mangeait tout le jour.
Mais voici, dans la basse-cour,
Un homme que chacun évite,
Homme qui porte un large coutelas.
Il s’en va droit au dindon gras,
Le prend par la gorge et le tue ;
Ses coups d’ailes, ses cris ne le sauveront pas.Mon avorton fut pris, à cette vue.
Jacques-Melchior Villefranche (1829–1904)
D’une indigestion dont il pensa mourir.
Mais, grâce à sa maigreur extrême,
Il vit l’homme au couteau s’intéresser lui-même
Et s’empresser à le guérir ;
Et bénissant son apparence étique,
Il laissa là gloire et faveur publique.
Remerciements
Nous adressons nos sincères remerciements à Monsieur Jean-Michel Devresse qui nous a envoyé l’essentiel de notre documentation.
Nous remercions également Monsieur Jacques Lambert, auteur de l’excellent article « La Dinde Rouge des Ardennes » paru en décembre 1996 dans le n°57 de la revue d’histoire et de géographie locales : « Terres Ardennaises » ; nous y avons découvert des sources passionnantes en fin d’article.
Nous sommes également reconnaissants du travail déjà accompli par nos diverses sources et qui nous a permis de vous présenter cette étude. D’autres informations complèteront ce sujet au fil du temps.
Sources
Plaquettes et revue expédiées par Monsieur Jean-Michel Devresse.
La Dinde Rouge des Ardennes, de Jacques Lambert (Terres Ardennaises n°57 de décembre 1996).
Le Dindon, collectif (Ethnozootechnie n°49 de 1992).
Le dindon sauvage, portail d’ornithologie.
CEVA TV – Ceva Santé Animale Channel
Le Dindon Rouge des Ardennes, blog de Pâquerette, la vache virtuelle de l’association Fermequi travaille à la sauvegarde de la biodiversité des animaux de ferme.
Élever des dindons, Rustica.fr.
La dinde rouge des Ardennes reine d’un jour au salon de l’agriculture ! (Fondation du Patrimoine, mars 2016).
Quatrième édition du prix national de la Fondation du patrimoine pour l’agro-biodiversité animale (Les Biodiversitaires, mars 2016).
La dinde rouge des Ardennes fait salon (de l’agriculture), de Loïc Chauveau (Science & Avenir, février 2016).
La dinde rouge des Ardennes primée au Salon de l’Agriculture, de Aurélie Jacquand (France Bleu Champagne-Ardenne, mars 2016)
Que vive la dinde rouge ! (L’Humanité de février 2016)
Dindon rouge des Ardennes, collectif (Wikipedia).
Les fables :
- Les deux dindons, Antoine-Vincent Arnault (Poésie Française) ;
- Les deux dindons, Jacques-Melchior Villefranche (Rue des Fables) ;
- Dindes, Jules Renard (Histoires naturelles sur Gallica BNF)
Méléagre, prince de Calydon en Etolie, Mythologica.fr.
Pour en savoir plus sur Méléagre, lire aussi :
- La merveilleuse irrésolution d’Althée sur la mort de Méléagre ;
- L’histoire de Méléagre vue par Ovide ou de quoi le tison des Parques est-il l’emblème ?
Pour aller plus loin
La Dinde Rouge des Ardennes, Hommage au Docteur Roland Dams, du Docteur vétérinaire et éleveur Frédéric Ab-der-Halden édité en août 2013. Sauvetage et maintien de la souche de Monsieur Raymond Popelin.