Depuis 2004, il existe à Charleville-Mézières un parcours Rimbaud qui permet de découvrir la ville tout en suivant les pas du poète. Ce parcours va du Musée Rimbaud à sa maison natale, en passant par le collège où il étudia, le square de la gare, le cours Briand, la Maison des Ailleurs et se prolonge jusqu’au cimetière où il est inhumé.
Ce parcours est régulièrement enrichi. En 2011, ce sont les chaises-poèmes de Michel Goulet qui se sont installées face à la Maison des Ailleurs. Puis en 2017, c’est le bronze en forme de cœur représentant Rimbaud de Michel Gillet qui est ré-installé dans le square de la gare après des travaux, il se situe proche du troisième buste de Rimbaud signé Dumont, installé lui le 20 octobre 1954 dans le cadre du centenaire de la naissance du poète.
Après ce premier parcours proposé aux visiteurs concernant la vie du poète, Boris Ravignon, Maire de la Ville, a souhaité qu’un second parcours soit réalisé, sur son œuvre cette fois. Dès 2015, les premières fresques murales en référence à l’œuvre de Rimbaud apparaissent dans les rues. Elles s’adressent à tous, rimbaldiens ou non-spécialistes.
« Ces fresques, ce parcours va permettre aussi aux carolomacériens, aux passants, aux touristes de découvrir aussi les divers quartiers de notre ville. Nous allons en même temps demander maintenant aux carolomacériens de nous proposer des endroits qui pourraient accueillir d’autres fresques ».
André Marquet, maire adjoint chargé des affaires culturelles – 2018
Le parcours Rimbaud
2015. Voyelles : Médiathèque Voyelles (visible par la rue de l’Église)
La première grande fresque date de 2015. Elle est réalisée sur un mur de la médiathèque Voyelles par les services municipaux de la ville de Charleville-Mézières. On la découvre en descendant la rue de l’Église.
Le dessin est une reprise d’une caricature de Rimbaud par Manuel Luque intitulée Rimbaud et ses voyelles. La caricature paraît en couverture de la revue littéraire et satirique Les Hommes d’Aujourd’hui de janvier 1888 dans lequel Paul Verlaine dresse un remarquable portrait physique de Rimbaud. Quant au poème, il s’agit du manuscrit autographe de Rimbaud : Voyelles.
Le poème Voyelles est un sonnet en alexandrins écrit en 1871 par Arthur Rimbaud. Le manuscrit est conservé au Musée Rimbaud de Charleville-Mézières. Un second manuscrit recopié par Paul Verlaine à l’automne 1871 est quant à lui, conservé à la Bibliothèque Nationale de France. C’est celui que Verlaine fera publier pour la première fois en 1883 dans la revue Lutèce.
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,Golfes d’ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;Ô, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Arthur Rimbaud
Silences traversés des Mondes et des Anges :
– Ô l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! –
2017. Ophélie : rue Michelet
Une seconde fresque a été réalisée en juillet 2017. Elle concerne le poème Ophélie écrit en 1870. Ce poème fait partie d’un ensemble de 22 poèmes intitulé Cahier de Douai ou Recueil de Douai écrit par Arthur Rimbaud entre mars et octobre 1870 (Arthur a alors 16 ans). Rimbaud séjourna une quinzaine de jour à Douai auprès de son ami Georges Izambard lors d’une première fugue, il est hébergé chez les tantes de ce dernier, les demoiselles Gindre. En octobre, il y fait un second séjour.
Ce manuscrit, en fait deux cahiers, est déposé par Rimbaud lui-même chez le poète et éditeur douaisien Paul Demeny et ami d’Izambard dans l’espoir d’être édité. Il écrira plus tard :
« Brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d’un mort, brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai ».
Demeny n’en fit rien. Cinq poèmes de Rimbaud ne sont connus que par ces feuillets.
Voici la composition du recueil :
- Première soirée, cette pièce est une version de Trois baisers, précédemment éditée
- Sensation
- Le Forgeron
- Soleil et chair
- Ophélie
- Bal des pendus
- Le Châtiment de Tartufe
- Vénus anadyomène
- Les Réparties de Nina
- À la musique
- Les Effarés
- Roman
- « Morts de Quatre-vingt-douze »
- Le Mal
- Rages de Césars
- Rêvé pour l’hiver
- Le Dormeur du val
- Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir
- La Maline
- L’Éclatante Victoire de Sarrebrück
- Le Buffet
- Ma Bohème
Ophélie : c’est le 24 mai 1870 que Rimbaud, pour qui la poésie est un objet de recherche et d’expérimentation, écrit au chef de file du Parnasse, Théodore de Banville. Dans cette lettre, il transmet son désir de « devenir Parnassien ou rien » et se faire publier. Pour cela, il joint trois poèmes : Ophélie, Sensation et Credo in unam. Banville lui répond, mais aucun de ces poèmes ne paraîtra dans la revue.
Dans ce poème, Arthur reprend le thème shakespearien de la belle noyée qui a sombré dans la folie et le désespoir. Il brosse aussi le tableau d’une nature telle, qu’elle s’en trouve sacralisée et éternelle.
Cette magnifique fresque est l’œuvre de Medhi Amghar alias Dizat du collectif carolomacérien Creative Color. Elle faillit ne pas voir le jour, l’Architecte des Bâtiments de France ayant donné un avis défavorable. Réponse de Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières :
« On a eu et je le regrette vraiment un désaccord de dernière minute parce qu’on avait bien travaillé et longtemps travaillé avec l’Architecte des Bâtiments de France sur la préparation de cette fresque. Il y a un désaccord et malheureusement l’artiste étant particulièrement demandé, soit la fresque se réalisait maintenant, soit il y avait un très sérieux risque qu’elle soit reportée et qu’elle ne se fasse jamais.
Moi, j’ai assumé cette responsabilité, je crois qu’il faut que ce projet s’engage et on a cherché jusqu’à la dernière minute à trouver les meilleures conditions de réalisation conformes aux demandes de l’Architecte des Bâtiments de France, cette fresque va se réaliser, c’est en cours. »
À propos des fresques à venir, Boris Ravignon ajoute que l’Architecte des Bâtiments de France et la ville de Charleville-Mézières travailleront ensemble en comité artistique, dans lequel services de l’État et service de la culture seront présents et associés de manière à éviter toutes les difficultés de dernière minute, de traiter en amont les demandes pour les rendre compatibles avec les projets que les artistes proposent.
Ophélie
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
– On entend dans les bois lointains des hallalis.Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soirLe vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
– Un chant mystérieux tombe des astres d’orII
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
C’est que les vents tombant des grand monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits,
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
– Et l’Infini terrible éffara ton oeil bleu !III
– Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Arthur Rimbaud
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
2018. Appel à projet
Pour l’année 2018, la ville de Charleville-Mézières lance un appel à projet pour de nouvelles œuvres en lien avec les textes d’Arthur Rimbaud. La priorité est de donner une part importante au texte tout en présentant une œuvre artistique originale. Ainsi, le poème mis en valeur est laissé au choix de l’artiste avec pour seule obligation d’intégrer le nom d’Arthur Rimbaud et du poème représenté, sa date d’écriture et le cas échéant, le recueil dont il est issu.
Les artistes peuvent proposer plusieurs projets, néanmoins, une seule œuvre par artiste ne pourra être choisie. Il y a lieu de tenir compte également des spécificités des murs et des contraintes architecturales. La municipalité impose la peinture murale, la technique de peinture est toutefois laissée au choix de l’artiste (aérosol, peinture, etc).
Pour chaque mur proposé, la municipalité a obtenu l’accord du propriétaire, s’assurant la mise à disposition de l’espace pour une durée de 10 ans.
2018. Avenue Charles Boutet (juste avant le cimetière où repose Arthur Rimbaud)
Le Dormeur du val : Cette fresque est l’œuvre de l’artiste nancéen Dorian Jaillon alias Rodes.
Sans doute le plus connu des poèmes de Rimbaud c’est le second poème du second Cahier de Douai et daté d’octobre 1870. Il est sans aucun doute inspiré par les ravages de la guerre franco-prussienne de 1870 (Rimbaud avait 16 ans). Il est probable que le jeune Arthur ait croisé le chemin de ce jeune soldat lors d’une de ses innombrables marches dans la campagne ardennaise. Le manuscrit est conservé aujourd’hui à la British Library de Londres.
Lucille Pennel, directrice du Musée Rimbaud présente l’œuvre de Rodes au micro de Manon Lo-voï de la radio RVM :
« Il n’y aura pas de représentation humaine, ce ne sera pas figuratif, c’est vraiment un travail sur la typographie et donc, c’est une mise en valeur du texte et vraiment des mots de Rimbaud par un travail sur la typographie ».
Dorian Jaillon, à propos des principales difficultés rencontrées au niveau graphique :
« Au niveau graphique, même si le mur est assez gros, au final ma plus grosse complexité, c’est le fait que ce soit assez petit parce que la bombe, ça permet de travailler des éléments assez gros, et là, même si la façade est grande, encore une fois au final les typos sont assez petites et du coup c’est pas forcement l’outil avec lequel ce serait le plus évident la bombe de peinture ».
Le Dormeur du Val
C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Arthur Rimbaud
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
2018. 13 rue de Gonzague
Ma Bohême : C’est l’artiste carolo Antoine Maquet alias Smak3 (membre du collectif Creative Color et Moulin Crew) qui la réalise. Ce sonnet clôt le recueil des Cahiers de Douai. Il ébauche le théme de l’homme aux semelles de vent, du poète vagabon, le voyage, la révolte, la pauvreté, l’enfance, la nature. L’adolescent se met en scène et il ne fait aucun doute que ce poème est une œuvre autobiographique. S’il utilise la forme traditionnelle du sonnet, c’est pour mieux la moderniser en s’affranchissant de ses limites et de ses règles, surtout au niveau du rythme et de la rime.
Pour cette fresque, nous retrouvons les deux premières strophes du poème et notre ami voyageur. Antoine :
« J’ai eu liberté quasi sur tout, à part sur les couleurs et sur le texte qui était une obligation. L’obligation était d’avoir un texte ou des strophes d’un poème de Rimbaud. Alors comme j’étais dans la première session, on a pu choisir le poème qu’on désirait, moi j’ai choisi celui-là, parce qu’il était plutôt bien et qu’il était plus facile à illustrer par rapport à d’autres, donc j’ai choisi Ma Bohème, je trouvais que c’était plutôt sympa. Puis pour l’illustration, j’ai fait une photo et puis je suis parti sur cette photo qui représente Rimbaud qui est sur un chemin, allongé en train de contempler les étoiles, ce qui est en raccord avec le poème. »
Ma Bohême
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal :
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frouEt je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Arthur Rimbaud
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
2018. Rue Ledru-Rolin sur un mur d’immeuble d’Habitat 08
Le Bateau ivre : Ce poème n’est connu que par une copie de la main de Paul Verlaine et conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Il est écrit en été 1871 et sa première publication date du 2 novembre 1883 dans la revue Lutèce.
L’histoire de ce poème est assez mystérieuse, Rimbaud dit l’avoir écrit pour épater Paris, ce qui fut un vrai succès lors d’un des dîners des vilains bonhommes : les parnassiens que Rimbaud voulait rejoindre. Le poème apparaît comme la transposition allégorique du programme définit par Rimbaud dans Les Lettres du voyant envoyé à Paul Demeny du 15 mai 1871 : « Le poète se fait voyant par un long dérèglement de tous ses sens ».
Cette fresque est l’œuvre du montpelliérain Olivier Kenneybrew alias Polar :
« Le titre du poème, c’est Le Bateau ivre et donc moi j’ai illustré plus ou moins quelques vers du poème et je viens par-dessus mon illustration écrire les deux premières strophes du poème. J’ai appris du coup grâce à cet appel à projet, j’ai lu beaucoup de textes de Rimbaud, j’ai lu sa vie et puis voilà. Donc maintenant, maintenant je pense connaître Rimbaud. »
Le Bateau ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.Dans les clapotements furieux des marées
Moi l’autre hiver plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappinEt dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,
L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelque fois ce que l’homme a cru voir !J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très-antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d’eau au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés de punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur,Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets !J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
– Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? –Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Arthur Rimbaud
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
2018. Angle rues du Theux et du Ban de Mézières
Les Ponts est un poème en prose appartenant au recueil Les Illuminations composé par Rimbaud entre 1872 et 1875.
Dans ce poème, Rimbaud invite le lecteur à une succession de spectacles de différentes époques où le monde réel se trouve magnifié. Mais ce spectacle, cette comédie ne sont qu’illusion. Le rideau de lumière tombe et met fin à l’extase.
C’est le collectif Nomansland, en l’occurence Alice Wasson et Sophie Canillac, peintres en décor du patrimoine, qui réalisent cette fresque aux croisement des rues du Theux et du Ban de Mézières. Le propriétaire de la maison a même proposé d’étendre la peinture sur une autre façade.
Les deux artistes ont décidé d’écrire le poème en entier :
« Tout le poème, insiste Sophie Canillac, car on a choisi un poème en prose… et la prose, ça ne se coupe pas »
Les Ponts
Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d’autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s’abaissent et s’amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D’autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d’autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d’hymnes publics ? L’eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. – Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.
Arthur Rimbaud
Ainsi se termine l’année 2018 pour la réalisation de fresques sur le parcours Rimbaud. Nous attendons 2019 avec impatience pour que se réalisent encore de très belles œuvres.
Quelques projets non retenus trouvés sur le web :
À noter qu’en 2017, Dorian Jaillon alias Rodes avait déjà travaillé sur le Dormeur du val de Rimbaud en réalisant ce sketch (esquisse).
Sophie Canillac : 52 rue du Theux, Les Ponts. Dans ce projet, le texte est sur toute la surface du mur ; dans le projet retenu, le texte et « groupé » sur le bas.
Sophie Canillac : 16 rue Ledru-Rolin, Les Corbeaux
2019. Appel à projet
L’appel à projet 2019 concerne la réalisation de cinq nouvelles œuvres en
lien avec les textes d’Arthur Rimbaud. Elles doivent donner une part prépondérante au texte de Rimbaud tout en présentant une création artistique originale.
« On a prêté une attention principalement à la manière de s’approprier le texte. On s’est rendu compte que pour des street-artistes, c’était la principale difficulté en fait. Se confronter aux textes de Rimbaud, c’est pas rien. Donc, aller choisir un poème, réfléchir à ce qu’il veut dire, réfléchir à qu’est-ce qu’on va en faire ? Visuellement, comment on va le traduire ? Pas juste avoir une illustration figurative, mais proposer quelque chose de personnel. Voilà finalement, des projets d’une très grande qualité, où on voyait quelque chose d’original et de personnel se dégager tout seul. »
Claire Lignereux, animatrice du patrimoine à Charleville-Mézières
Deux autres fresques seront réalisées, en dehors du cadre de l’appel à projets 2019.
La première étant une œuvre prévue pour 2018 qui n’avait pas pu être réalisée et prendra place sur un mur du lycée Bazin.
La deuxième sera issue d’un projet artistique du collège Scamaroni, à Manchester, dont les élèves vont travailler avec le collectif Créative Color. (Cette fresque, Aube est réalisée en 2020).
« Ce projet artistique va concerner le mur d’une habitation appartenant au bailleur social Habitat 08, rue de Warcq. Créative Color assurera aussi un atelier de médiation culturelle au collège. »
André Marquet, adjoint à la culture à Charleville-Mézières.
2019. Rue de Tivoli, angle cours Briand
Enfance est un poème en prose appartenant au recueil Les Illuminations composé par Rimbaud entre 1872 et 1875. Il regroupe sous ce titre cinq petits poèmes, parfois appelés : suite.
Ce recueil fut admiré par les surréalistes. En effet, Rimbaud bouleverse le genre de la poésie en se faisant voyant et en libérant le langage de la contrainte du sens précis.
Il y a dans ce poème une rupture avec les traditions : pas de vers, pas de rimes, seuls quelques sonorités et rythmes subsistent
Ce sont Pierre Mathieu et Maxime Vey venus de Lyon qui réalisent cette fresque. Les street-artistes ont répondu à l’appel à projet lancé par la ville de Charleville-Mézières. Celui de Pierre ayant été retenu, il a invité son ami à venir l’aider, les deux comparses travaillant très souvent ensembles.
Pierre, artiste-peintre, nous parle de son œuvre :
« L’idée, c’était de reprendre un poème en prose pour sortir peut-être un petit peu du lot de ce qui avait déjà été fait. L’idée, c’était vraiment d’intégrer le texte dans l’image. Alors vous pouvez voir une petite fille en train de créer des petites instances d’imagination qui sont symbolisées par trois couleurs qui sont un saumon, un orange clair et un bleu canard, et en fait ces trois couleurs là vont venir agrémenter le dessin.
(…) Là on sent vraiment qu’il est parti dans le surréalisme, c’est vrai que le courant pictural surréaliste, j’adore et ça me permettait justement de faire un lien avec le courant surréaliste qu’il a essayé d’intégrer à la poésie. »
Enfance I
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
Arthur Rimbaud
À la lisière de la forêt — les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, — la fille à lèvre d’orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu’ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer ; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés — jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costume tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l’heure du « cher corps » et « cher cœur ».
2019. Rue Louis Fraison
Pas moins de quatre fresques prennent place sur cet ensemble de quatre immeubles côte à côte appartenant à Habitat 08. Elles participent par leur proximité au projet d’aménagement des berges de Meuse (côté anciennes voies ferrées) et seront donc visibles de la Voie Verte.
Sensation : ce poème est le deuxième poème du premier Cahier de Douai et daté d’octobre 1870.
On trouve dans ce poème de Rimbaud son désir de s’évader, de se libérer de toutes contraintes et un appel au bonheur. C’est aussi l’éveil à la sensualité : la Nature, comme il l’écrit, évoque la rencontre amoureuse et une présence féminine.
Damien Auriault, peintre et designer graphique, a choisi de travailler sur le poème Sensation, comme une évidence par rapport à l’emplacement de la fresque murale :
« Dans le poème que j’ai choisi, Rimbaud parle de balade de fin de journée. Quand j’ai vu la liste des murs qui étaient proposés pour l’appel à projet de cette année, j’ai vu que ce mur était situé en bord de Meuse et que la ville avait un projet d’aménagement des berges pour en faire une promenade. Donc, je trouvais l’idée assez intéressante de créer un parallèle entre la promenade qu’a expérimentée Rimbaud à l’époque et d’évoquer à mon tour une promenade et le bord de la Meuse via ma peinture. »
Sa fresque se compose d’ondulations bleues, sur lesquelles le texte du poème a été apposé au pochoir. C’est sa toute première œuvre personnelle.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Arthur Rimbaud
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Départ : ce poème appartient au recueil Les Illuminations composé par Rimbaud entre 1872 et 1875.
La valeur de ce texte provient du grand contraste entre la richesse d’évocation et la circoncision de la syntaxe en style télégraphique. Le vocabulaire à plusieurs sens nourrit l’imagination du lecteur. Le rythme et les effets sonores donnent à ce poème une impression énergique. On constate que Départ de Rimbaud n’est pas une douce rêverie, mais plutôt un désir d’arrachement au quotidien.
Cette fresque est l’œuvre de Olivier Sujkowski alias 2shy, graffeur francilien appartenant au groupe Streetdesigners (collectif regroupant plusieurs artistes graffeurs). Elle est composée de structures géométriques et colorées. Elle est par ailleurs réalisée grâce à la technique de rétroprojection du croquis durant la nuit.
Départ
Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs.
Arthur Rimbaud
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. – Ô rumeurs et Visions!
Départ dans l’affection et le bruit neufs !
L’Éternité : ce poème daté de mai 1872 figure au recueil des Vers nouveaux. Arthur Rimbaudle retoucha l’année suivante dans Une Saison en enfer parue en 1873 et introduite par un commentaire.
Dans ce poème, Rimbaud tente de convaincre Verlaine de quitter sa jeune épouse pour lui. Il lui rappelle leurs amours sulfureux. Entre les deux, l’eau et le feu fusionnent. Il parviendra à ses fins.
Dans la seconde version, la mer est mêlée au soleil alors que disparaît l’espérance. Le devoir triomphera des lendemains amoureux.
Miguel do Almaral Continho alias Luso, peintre muraliste, parle de son projet :
« C’est un poème qui m’a inspiré tout de suite parce que je viens du Havre et au Havre, on peut voir le coucher de soleil sur la mer. C’est ce qui est dit, ce qui est évoqué dans ce poème : la mer allée avec le soleil, qui est mêlée avec le soleil, pour moi ça m’a inspiré un coucher de soleil. Donc, c’est ce que j’ai tenté de représenter dans des sphères, quatre sphères qui représentent aussi les quatre saisons, quatre temps. »
L’Éternité (version 1872)
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.Âme sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.Elle est retrouvée.
Arthur Rimbaud
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
L’Éternité (version de 1873)
Enfin, ô bonheur, ô raison, j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d’or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil.Mon âme éternelle
Observe ton vœu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans
Tu voles selon…Jamais l’espérance,
Pas d’orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.Elle est retrouvée !
Arthur Rimbaud
– Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil.
Le Cœur Supplicié : ce poème est inclus dans une lettre envoyée par Rimbaud à son ancien professeur, Georges Izambard, le 13 mai 1871 : Lettre dite Lettre du voyant. Deux autres versions avec peu de variantes ont été écrites par Rimbaud : le 10 juin 1871 dans une lettre adressée cette fois à Paul Demeny sous le titre de Le Cœur du pitre. La troisième en octobre 1871 est une copie de la main de Verlaine dont le titre devient Le Cœur volé.
Rimbaud évoque dans ce poème le viol. Il se trouve à la poupe d’un bateau pour vomir. Mais on comprend vite qu’il est abusé par un groupe de soldats alcoolisés. Il sent son cœur souillé et en appelle aux flots purificateurs de la mer.
Adrien alias Ardif est un street-artiste français vivant et travaillant à Paris. Sa formation en architecture et son goût pour les machines steampunk (Les Machines de L’Île à Nantes par exemple) se retrouvent au sein de ses œuvres au travers desquelles, il raconte le rapport de l’Homme avec l’innovation et la nature.
Dans cette œuvre, il intègre quatre monuments de la ville de Charleville-Mézières :
- en haut gauche : La Basilique Notre-Dame de Mézières
- en haut droite : L’Hôtel de Ville de Mézières
- en bas droite : Le Vieux Moulin
- en bas centre et retourné : L’Eglise Saint-Rémi
Le Cœur Supplicié
Mon triste cœur bave à la poupe …
Mon cœur est plein de caporal!
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe…
Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal!Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l’ont dépravé;
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques!
J’aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?Mon triste cœur bave à la poupe …
Mon cœur est plein de caporal!
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe…
Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal!Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l’ont dépravé;
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques!
J’aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?Mon triste cœur bave à la poupe …
Mon cœur est plein de caporal!
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe…
Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal!Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l’ont dépravé;
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé! 0
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.Quand ils auront tari leurs chiques,
Arthur Rimbaud
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques!
J’aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
2020. Appel à projet
L’appel à projet 2020 concerne principalement le quartier de Mézières.
« Un secteur géographique de prédilection, à savoir Mézières où il n’y a pas encore de fresques. Les critères sont les suivants : Chaque proposition doit constituer une œuvre originale et inédite. L’œuvre réalisée ne doit pas prendre le pas sur le texte mais au contraire le mettre en valeur. Le texte doit faire partie intégrante de la composition et non être plaqué sur une image. »
Lucille Pennel, directrice du Musée Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières
Cinq nouvelles œuvres devraient voir le jour sur les murs pré-sélectionnés : rue de Lorraine, rue Hachette, rue des champs, arrière du lycée Monge (poème imposé : le cabaret vert) et square Albert premier.
2020. 47 rue de Warcq (Quartier de Manchester inscrite au programme 2019)
Aube est un poème en prose inclus dans le recueil Les Illuminations, écrit de 1873 à 1875 parmi les voyages d’Arthur Rimbaud tant en Belgique qu’en Angleterre et dans toute l’Allemagne.
Ce poème montre la progression de la lumière : la nuit, puis la nature qui se réveille tout au long de cette matinée en même temps que le soleil s’élève dans le ciel. Le poète court après une femme qu’il ne parvient pas complètement à atteindre : c’est comme une chasse sur les traces de la déesse. Mais au moment où il pense l’attraper, c’est l’évanouissement.
Le poète rêve et se retrouve hors du temps et de l’espace, image qui peut être comprise comme une métaphore de la création poétique.
Cette fresque est issue d’un projet artistique lancé en 2019 au collège Scamaroni, à Manchester. Les élèves ont travaillé avec les artistes du collectif ardennais Creative Color, Mehdi Amghar (alias Dizat) et Antoine Maquet (alias Smak3).
« En fait on a travaillé avec un groupe scolaire parce que c’était vraiment une demande particulière, c’était pas une vrai demande du parcours Rimbaud, c’était une demande de la mairie de travailler avec des enfants de collège Scamaroni. Donc on a fait déjà un travail en amont avec eux de recherche graphique, pour voir avec eux ce qu’on pouvait faire au niveau de l’illustration et ensuite, ils ont analysé le poème. Il en est ressorti d’illustrer une déesse parce que c’est la thématique primaire de la fresque »
Antoine Maquet
Elle est réalisée sur le mur d’une habitation appartenant au bailleur social Habitat 08.
Aube
J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins: à la cime argentée, je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Arthur Rimbaud
2020. 43 rue des Champs
Tête de faune : ce poème est daté par les spécialistes entre fin 1871 et début 1872, c’est-à-dire en fin de période parnassienne. Il a été publié pour la première fois dans le recueil Poésies en 1891.
Ce poème composé en décasyllabes est une concession faite à Paul Verlaine.
Arthur Rimbaud fait appel aux fleurs et aux références mythologiques. ll fait resurgir pour quelques instants dans notre imaginaire, la mythologie romaine des divinités champêtres de faunes.
Le temps y est scénarisé : le premier quatrain instaure un effet d’attente en se contentant de peindre le décor, la deuxième strophe correspond à un instant fulgurant et enfin, dans la troisième strophe, le faune déjà parti, le poète décrit ce qu’il reste.
Cette fresque est réalisée par Russ, artiste peintre originaire d’Orléans spécialisé dans les fresques murale :
« J’ai juste repris des éléments de la forêt. J’ai repris des feuillages, des feuilles de chêne, il y a un petit gland aussi, enfin vraiment, j’ai voulu évoquer la forêt et après le faune aussi dans la dimension mythologique, donc il y aura ce faune avec les cornes. Il y a des grappes de raisin et puis des formes après plus organiques végétales qui ne sont pas forcément précises on va dire, justement pour laisser un peu de place à l’imaginaire de chacun. J’avais un dessin de base très fourni, très chargé, donc c’est un petit challenge d’essayer de le reporter sur le mur en gardant le maximum de détail. »
Tête de faune
Dans la feuillée, écrin vert taché d’or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l’exquise broderie,
Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu’un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.
Et quand il a fui – tel qu’un écureuil –
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l’on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d’or du Bois, qui se recueille.
2020. 4 rue Hachette
Première soirée est premier texte du premier Cahier de Douai que Arthur Rimbaud confia à Paul Demeny lors de son séjour à Douai auprès de son ami Georges Izambard.
C’est aussi le premier poème amoureux écrit par Rimbaud à l’âge de 16 ans. On y découvre un poète maladroit avec les adolescentes de son âge. Le poète est entreprenant, mais c’est la jeune femme qui guide les choses.
On se trouve à la fois dans un libertinage amoureux mais aussi dans l’innocence de la découverte amoureuse.
C’est l’artiste peintre Nawel Grant qui réalise cette fresque très colorée. Elle parle au micro de Manon Lo-voï de la radio RVM :
« J’ai choisi ce poème par rapport au féminin qu’entretient le poète dans ce récit parce que je travaille particulièrement sur la représentation de la femme dans l’espace public, donc ce poème prenait tout son sens pour moi pour être illustré pour une fresque. Dans ma représentation de la femme, j’aime les représenter très grandes et colorées pour qu’elles aient vraiment un impact dans l’espace public. Là, c’est gagné. »
Très sensible à l’environnement, Nawel Grant ajoute :
« Je l’ai imaginée en rapport avec l’environnement. On parle en fait d’une scène qui se passe à huis-clos et le lecteur a comme l’impression un peu d’être un voyeur et Rimbaud parle également des arbres indiscrets qui se trouvent devant la fenêtre et qui observe la scène et là, en fait, on est devant un jardin, donc l’idée pour moi, c’était que l’observateur soit le voyeur de la scène dont parle Rimbaud mais également les arbres qui se trouvent dans l’environnement. »
Première soirée
– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.– Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, – mouche au rosier.– Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : » Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : » Oh ! c’est encor mieux !…Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…– Elle était fort déshabillée
Arthur Rimbaud
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
2020. 5bis Rue de Champagne
Rêvé pour l’hiver appartient à la seconde série des textes (Cahier de Douai) que Arthur Rimbaud confia à Paul Demeny, textes transcrits lors de son deuxième séjour chez les demoiselles Gindre, tantes de Georges Izambard en octobre 1870 à Douai.
La date du 7 octobre 1870 mentionnée en bas du manuscrit est une indication plausible du moment où fut définitivement terminé ce poème.
On observe dans ce sonnet une alternance d’alexandrins et d’hexasylabes.
Ce poème expose une rêverie sentimentale qui fait l’éloge de la sensualité et de l’érotisme. On y découvre une vision des rapports amoureux qui prend l’allure d’un jeu de Colin-Maillard, d’une fête teintée d’érotisme. Le minaudage de la jeune fille ne résiste pas à l’enthousiasme, à l’audace du jeune adolescent.
La maquette de cette fresque est conçue durant l’année scolaire 2019/2020 en collaboration avec la classe de 6ième A du collège Bayard de Charleville-Mézières et l’artiste lyonnaise de Steet Art Pauline Déas dans le cadre d’un PAG (Projet Artistique Globalisé).
Après avoir travaillé sur plusieurs textes de Rimbaud, c’est le poème Rêvé pour l’hiver qui est retenu par la classe.
Le premier rendez-vous avec l’artiste a lieu en novembre 2019 en visioconférence avant une rencontre en janvier 2020 et de nombreux échanges (la Covid étant passé par-là, la réalisation a pris du retard).
Puis le moment tant attendu : chacun des élèves peint une partie de la fresque miniature qui est assemblée et conservée par le collège. Il ne reste plus aux muralistes qu’à reproduire la fresque « en vrai » cette fois :
« C’était une longue aventure débutée l’année dernière par une rencontre entre Pauline et les élèves du collège Bayard de Charleville-Mézières pour dessiner ensemble la maquette et la typographie ! Merci à eux, à leurs professeurs pour leurs idées et leur implication, c’était un projet humainement enrichissant.
Le collectif 4FAM (1 volonté, 3 talents Pauline Déas, Maud Royole Degieux et Camille Exposito)
Côté technique, on a dû intégrer le spot lumineux présent sur le mur, ce qui a donné du fil à retordre pour la composition, mais on est plutôt fières du résultat ! »
A*** Elle
Rêvé Pour l’hiverL’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…Et tu me diras: « Cherche! » en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup…En wagon, le 7 octobre 70
Arthur Rimbaud
2021. Pas d’appel à projet
Il n’y a pas d’appel à projet pour cette année 2021.
2021. Projet citoyen
Depuis octobre 2020, par l’objet d’un Projet citoyen : les habitants de Charleville-Mézières sont invités à formuler des projets où à donner leur avis sur ceux que d’autres habitants de la commune ont donné.
Parmis les sujets proposés, étudiés, discutés et priorisés, se trouve un atelier de street art à destination des ados sur le thème de Rimbaud :
« Afin de donner les moyens de s’exprimer aux ados, à travers la poèsie d’un ado, Rimbaud, le thème de l’image contemporaine peinte sur les murs d’immeubles privés (dans le cadre d’un mécénat) ou publiques, ou pour décorer des parcs de détente dans la ville, avec des supports de béton ou de métal solide (adaptés pour garder des peintures à la bombe) permettrait de colorer les quartiers un peu tristes, et feraient sortir les ados de leurs machines de téléphones ou consoles, pour créer ensemble et se rendre utile. Il permettrait de développer leur culture poétique et artistique. »
Budget participatif – Ville de Charleville-Mézières Projets 2021
Le vote réservé aux carolomacériens du mois de juin s’étant avéré insuffisant, ce projet ne verra pas le jour.
2022. Pas d’appel à projet
Il n’y a pas d’appel à projet pour cette année 2022, toutefois, des commandes de fresques ont été réalisée.
2022. 6 place de Montcy-Saint-Pierre
(cette fresque est un projet de 2021 qui n’a pas pu être réalisé avant l’hiver).
Roman est le douzième poème sur quinze du premier cahier de Douai. Daté du 29 septembre 1870, il est connu par son premier vers : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans »
Dans ce poème Rimbaud évoque vers la fin de l’été, une aventure amoureuse en cours. Il utilise le vous, rendant ce roman applicable à tous. Il se moque de lui-même, c’est une distanciation, il vit pleinement ses dix-sept ans.
Il fait un choix de la forme originale inhabituelle du poème, utilisant la ponctuation à de nombreuses reprises.
Ce sont deux artistes du collectif 7e Gauche qui réalisent cette peinture : Céleste Gangolphe et Florianne Mandin formés à l’École Émile Cohl à Lyon.
« La posture du personnage est une photographie d’un mouvement suspendu. Le personnage est un Arthur Rimbaud moderne, représentant notre époque. Il pourrait être également n’importe quel adolescent habitant le quartier.
Les couleurs joyeuses et douces, intégrées à l’espace environnant, transmettent de la gaité du poème et des soirs d’été. Un style naïf afin de souligner encore la jeunesse et la liberté. »
Roman
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.Les tilleuls sentent bons dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
– Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !– Ce soir-là, … – vous entrez aux cafés éclatants,
Arthur Rimbaud
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.
2023. Appel à projet
L’appel à projet de cette année 2023 est particulier car il concerne la réalisation d’une seule œuvre en lien avec le poème Au Cabaret vert. Elle sera réalisée en septembre 2023 autour des Journées Européennes du Patrimoine sur le pignon central de l’arrière du lycée Monge et donnant sur l’avenue Tirman. Elle se situera
« dans un contexte paysager et naturel particulier au pied des remparts de Mézières (classés MH) et aux abords de la Basilique Notre-Dame-d’Espérance (classée MH).
Extrait de Ville de Charleville-Mézières Appel à projet Réalisation d’une peinture murale dans le cadre du Parcours Rimbaud
Elle est aussi en surplomb du site du festival du Cabaret vert et de l’emblématique usine de La Macérienne. Cette situation est aussi à prendre en compte par le projet proposé. Le Festival du Cabaret vert est un éco-festival rock indépendant et durable ».
2023. Face au 8-10 avenue Louis Tirman
Ce poème écrit en octobre 1870 fait partie du deuxième Cahier de Douai. Il évoque les quelques instants de bonheur éprouvés par le narrateur dans un cabaret de Charleroi.
Outre la simplicité des mots employés et la conservation de la forme traditionnelle du sonnet, Rimbaud bouleverse la syntaxe par de nombreux enjambements et la disposition des rimes.
L’œuvre est réalisée par l’artiste muraliste Smoka. Originaire de Saint-Brieuc, il intègre le Collectif nantais 100 Pression en 2006.
« J’ai cherché pendant quelque temps une femme d’époque qui correspondrait à la description du poème ; j’ai fini par la trouver et me l’approprier ensuite sur Photoshop en lui changeant les couleurs, en y amenant un peu de graphisme autour, l’habiller et ensuite j’ai cherché comment intégrer au mieux le poème à l’oeuvre.
Je me suis promené dans la rue en contre-bas et en fait, se sont principalement des pierres un peu ocre qui sont vraiment des pierres du coin et je me suis dit pour vraiment coller et rester dans cet esprit, c’était plus intéressant d’habiller la fresque aux couleurs de cette pierre et que le vert ne viendrait qu’égailler un peu cette couleur ».
Smoka au micro de Radio 8
Au cabaret vert, cinq heures du soir
Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède dans un plat colorié,Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
Arthur Rimbaud
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
Budget participatif de la ville de Charleville-Mézières pour une mise en œuvre en 2024
Lors de leur projet annuel d’amélioration de leur cadre de vie, les habitants du secteur 1 regroupant Manchester, Saint-Julien et Bois d’Amour, ont exprimé le souhait de la
« création d’une fresque sur le mur du cimetière qui mettra à l’honneur notre patrimoine (marionnettes ou poème de Rimbaud) »
Magazine de la Ville de Charleville-Mézières Carolo Mag du mois de décembre 2023
Rendez-vous donc en 2024 pour savoir qui de la marionnette ou de Rimbaud sera choisi.
2024. Appel à projet
Fin 2024, année des 170 ans de la naissance poète, le parcours Rimbaud de la ville de Charleville-Mézières devrait compter vingt peintures murales. En effet, aux dix sept déjà présentes, trois nouvelles réalisations sont prévues apprend-on dans l’appel à projet diffusé par la ville (mi-mai 2024) :
- Dépendance de la RD8043
Proposée au budget participatif de la ville de Charleville-Mézières et
« D’une surface de plus de 700 m², elle prendra place sur le mur de soutènement du cimetière Saint-Julien en bordure de la voie rapide. Une réalisation rendue possible grâce à l’accord du Conseil départemental, propriétaire du mur en question »
Ville de Charleville-Mézières
La longueur exceptionnelle du mur mesurant 151,50 m de long et sa hauteur variant de 2,87m à 5,65m est à prendre en compte par l’artiste. Une liste de quinze poèmes est proposée pour illustrer ce mur.
- 26 rue Jean Jaurès, située à proximité de la gare, la fresque devra illustrer le poème A la musique
- 49 rue Marceau, angle Jean Zay, le choix du poème reste libre, à l’exclusion de ceux déjà réalisés
Dépendance de la RD8043 (le long de la voie rapide)
« Mauvais Sang » d’Arthur Rimbaud est le second poème du recueil « Une Saison en enfer », le poète exprime sa révolte intérieure contre ses origines et la société. Il se sent emprisonné par son héritage et cherche à fuir sa condition par la rébellion et la quête d’une identité nouvelle. Rimbaud dépeint une crise existentielle, mêlant dégoût de soi, désir de liberté et rejet des conventions.
Jordan Harang (connu à l’origine sous le nom de Russ) possède une formation en arts appliqués et design de produits. Son travail artistique explore des concepts profonds liés à la cosmologie, la physique quantique et les mutations temporelles de la matière, artiste prolifique, il collabore régulièrement avec divers collectifs d’art urbain.
« Ce vers est pour moi porteur d’un message universel, adapté à ce lieu de très fort présage.
Sa référence à un passé révolu nous ancre dans le présent pour mieux nous projeter dans l’avenir de façon déterminée et positive.
Matière à philosopher autour des concepts d’ennui et d’amour, cet extrait bref mais intense permet également de multiples interprétations. »
Explique Jordan Harang avant d’ajouter à propos du format de son œuvre :
« C’est format assez atypique qui est aussi le plus grand des formats que j’ai pu peindre jusqu’ici, donc c’est en effet un gros challenge que j’avais envie de relever »
Mauvais Sang
J’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d’herbes les plus ineptes de leur temps.
D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure,— magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse.
J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! — Je n’aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L’honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement qu’elle ait guidé et sauvegardé jusqu’ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j’ai vécu partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. — J’entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits
de l’Homme. — J’ai connu chaque fils de famille !Si j’avais des antécédents à un point quelconque de l’histoire de France !
Mais non, rien.
Il m’est bien évident que j’ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu’ils n’ont pas tuée.
Je me rappelle l’histoire de la France fille aînée de l’Église. J’aurais fait, manant, le voyage de terre sainte, j’ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme ; le culte de Marie, l’attendrissement sur le crucifié s’éveillent en moi parmi les mille féeries profanes. — Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d’un mur rongé par le soleil. — Plus tard, reître, j’aurais bivaqué sous les nuits d’Allemagne.
Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n’en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, — représentants du Christ.
Qu’étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu’aujourd’hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l’âme, — le viatique, — on a la médecine et la philosophie, — les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu’ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !…
La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
C’est la vision des nombres. Nous allons à l’Esprit. C’est très certain, c’est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.Le sang païen revient ! L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l’Évangile a passé ! l’Évangile ! l’Évangile.
J’attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, — comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève.On ne part pas. — Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison — qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère.
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? — Dans quel sens marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. — La vie dure, l’abrutissement simple, — soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s’asseoir, s’étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n’est pas française.
— Ah ! je suis tellement délaissé que j’offre à n’importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !Encore tout enfant, j’admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu’il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu’un saint, plus de bon sens qu’un voyageur — et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre. » Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m’apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d’exécution, pleurant du malheur qu’ils n’aient pu comprendre, et pardonnant ! — Comme Jeanne d’Arc ! — « Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n’ai jamais été de ce peuple-ci ; je n’ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n’ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez… »
Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan.— Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !Les blancs débarquent. Le canon ! Il faut se soumettre au baptême, s’habiller, travailler.
J’ai reçu au cœur le coup de la grâce. Ah ! je ne l’avais pas prévu !
Je n’ai point fait le mal. Les jours vont m’être légers, le repentir me sera épargné. Je n’aurai pas eu les tourments de l’âme presque morte au bien, où remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche est bête, le vice est bête ; il faut jeter la pourriture à l’écart. Mais l’horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l’heure de la pure douleur ! Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l’oubli de tout le malheur !
Vite ! est-il d’autres vies ? — Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L’amour divin seul octroie les clefs de la science.
Je vois que la nature n’est qu’un spectacle de bonté. Adieu chimères, idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s’élève du navire sauveur : c’est l’amour divin. —Deux amours ! je puis mourir de l’amour terrestre, mourir de dévouement. J’ai laissé des âmes dont la peine s’accroîtra de mon départ ! Vous me choisissez parmi les naufragés, ceux qui restent sont-ils pas mes amis ?
Sauvez-les !
La raison est née. Le monde est bon. Je bénirai la vie. J’aimerai mes frères. Ce ne sont plus des promesses d’enfance. Ni l’espoir d’échapper à la vieillesse et à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.L’ennui n’est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, — tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l’étendu de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d’une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J’ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m’ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d’amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non… non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n’est pas assez pesante, elle s’envole et flotte loin au-dessus de l’action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d’aimer la mort !
Si Dieu m’accordait le calme céleste, aérien, la prière, — comme les anciens saints. — Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n’en faut plus !
Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.Assez ! voici la punition. — En marche !
Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur… les membres…
Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes… le temps !…
Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. — Lâches ! — Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
Ah !…
— Je m’y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur !-Arthur Rimbaud
Avenue Jean Jaurès
« A la musique » fait partie du premier Cahier de Douai écrit en 1870
Arthur Rimbaud décrit une scène de vie provinciale où la musique, jouée sur la place du village, crée une ambiance à la fois banale et grotesque. Le poème dénonce la médiocrité et l’hypocrisie de la société bourgeoise, avec une pointe d’ironie. Le jeune poète observe avec détachement et critique cette vie sociale artificielle, en contraste avec ses aspirations plus profondes et spirituelles.
Le Grain d’Anaïs ou Anaïs Lacombe, cette carolomacérienne est diplômée de l’Ecole Supérieure d’Arts Appliqués de Troyes, où elle a démarré sa carrière en qualité de décoratrice d’intérieur dans des magasins de meubles de Design haut de gamme.
Passionnée par le dessin et la peinture, elle crée son auto-entreprise afin d’allier ses compétences de décoratrice à sa sensibilité d’artiste.
Cette nouvelle fresque a été inaugurée le 20 octobre, jour du 170ième anniversaire de la naissance du poète.
« J’ai grandi avec Rimbaud forcément en grandissant dans les Ardennes, je l’ai beaucoup étudié à l’école. A chaque fois que je voyais une nouvelle fresque, j’avais envie d’y participer. Quand l’appel à projets a été annoncé, je me suis lancée ! «
Explique Anaïs Lacombe
L’artiste a représenté un bourgeois assis avec une pipe et ajouté quelques références au square situé en bout de rue.
« J’ai eu l’idée d’une image très poétique même si elle ne représente pas le bourgeois de la meilleur des façons. »
Et d’ajouter :
« Je tiens à préciser qu’il existe deux versions du poème et que moi j’ai choisi celle dont le manuscrit est au Musée Rimbaud de Charleville-Mézières. »
C’est le manuscrit de ce texte originellement détenu par Georges Izambard qui fait partie des collections du Musée Rimbaud de Charleville-Mézières
A la musique
Place de la Gare, tous les jeudis soirs, à Charleville.Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.Un orchestre guerrier, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :On voit aux premiers rangs, parader le gandin,
Les notaires montrer leurs breloques à chiffresLes rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames ;
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités,
Chacun rayant le sable avec sa canne à pomme,
Fort sérieusement discutent des traités,
Et prisent en argent mieux que Monsieur Prudhomme.Étalant sur un banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois bienheureux à bedaine flamande,
Savoure, s’abîmant en des rêves divins
La musique française et la pipe allemande ! –Au bord des gazons frais ricanent des voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les verts marronniers les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs grands yeux pleins de choses indiscrètes.Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après les rondeurs des épaules.J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…
-Arthur Rimbaud
La seconde version du poème
A la musique
Place de la Gare, à Charleville.Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : « En somme !… »Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde − vous savez, c’est de la contrebande ; −Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…-Arthur Rimbaud
Les fresques hors parcours Rimbaud
Les grapheurs et autres artistes n’ont pas attendu le parcours Rimbaud pour réaliser des fresques dans les rues de Charleville-Mézières. En voici quelques unes glanées ici et là :
Dans le quartier de la Ronde Couture, au 31 de la rue des Pivoines, ce très beau portrait aujourd’hui disparu suite à la restructuration du quartier.
Dans le quartier de La Houillère, cette fresque a été réalisée par trois jeunes gens de La Houillère et de La Culbute : Abdel-Hak, Jimi et Jérôme. Ils ont été accompagnés par un artiste du nom de Cooler (Sébastien Buret) de la compagnie Mo’dreams. La fresque a été entièrement réalisée à la bombe aérosol. Elle entrait dans le cadre du projet cultures européennes mis en place par la ville de Charleville-Mézières et suite à la demande du propriétaire du mur.
Sur le même mur, elle est remplacée bien plus tard par une œuvre dont nous ne savons rien encore. On peut voir Rimbaud et le Vieux Moulin devenu Musée Arthur Rimbaud et Charles de Gonzague, fondateur de Charleville et la mairie de Charleville.
Avenue Boutet, juste un peu au-dessus du cimetière, une fresque réalisée sur le mur d’une copropriété suite à une commande de la société Foncia. Elle est l’œuvre du collectif Créative Color. On y voit une représentation de la rue piétonne de Charleville-Mézières ainsi que du poète Arthur Rimbaud, et le poème Sensation faisant partie des Cahiers de Douai. On y retrouve un adolescent fugueur épris de liberté et de bonheur dans la nature qu’il compare à une femme.
Hôtel de Paris, au 24 Avenue Georges Corneau, trois fresques :
À l’accueil, Rimbaud Marionnette avec les poèmes Roman, Au Cabaret Vert et À la Musique.
Dans la salle à manger avec des extraits des poèmes Tête de Faune, Le Dormeur du Val, Roman, Le Buffet, Ma Bohême et Le Bateau Ivre.
Dans la cour intérieure, fresque réalisée par Créative Color avec les poèmes Voyelles et Le Dormeur du Val.
Hôtel Le Dormeur du val, 32 bis rue de la Gravière
La devanture reprend le poème manuscrit d’Arthur Rimbaud : Le Dormeur du val
Rue Delvincourt, face au Lycée Chanzy, ce sont les élèves de Seconde 3 qui choisissent les textes pour le mur extérieur des tribunes du stade du Petit Bois. En juin 2004, c’est la partie haute du mur qui est réalisée. En 2008, l’artiste breton FANCH couvre le bas du mur : Les Corbeaux, Lys, Cocher ivre, Fête galante, Ma Bohème (1 strophe), L’Étoile a pleuré rose, Le Bateau ivre (1 strophe), Voyelles, Aube (1 vers), L’Angelot maudit, L’Enfant qui ramassa les balles… (extrait), Bruxelles (extrait), Les Mains de Jeanne-Marie, Zanzibar (extrait d’une lettre de Rimbaud à sa sœur le 24 août 1887), Jeune Ménage (2 strophes), Le Balai, Exil.
12 rue de Condé, sur une porte cochère, ce portrait en toute simplicité d’Arthur Rimbaud.
Restaurant Le Grillardin, 18 place Ducale, décoration réalisée par le Collectif Créative Color, dont un dessin d’Arthur Rimbaud accompagné du sonnet Le Dormeur du Val.
2021. Librairie A Livre Ouvert, 40 rue du Moulin
Sur la devanture de la boutique, l’artiste ardennais L8Zon dessine une petite fille avec un livre sur les genoux. On peut y voir en première de couverture le visage de d’Arthur Rimbaud et en titre Voyelles, l’une de ses œuvres.
2021. Campus Sup Ardenne, Locaux de SCBS – South Champagne Business School (Y SCHOOLS), 9 rue Claude Chrétien
Magnifique Sensation, fresque participative réalisée en novembre 2021 par L8Zon avec les étudiants de Y SCHOOLS. Portrait d’Arthur Rimbaud tiré de la célèbre photo d’Etienne Carjat, décliné avec quelques extraits de ses écrits : poèmes, extraits de lettre à sa famille et à ses amis.
Sur un mur adjacent, sur les planches de bois assemblées, le poème Sensation et quelques décorations.
Le vernissage de ces peintures et l’inauguration de cette école de management n’avaient pas pu se dérouler plus tôt.
Cour de l’ancien Collège Rimbaud, rue d’Aubilly, aujourd’hui résidence privée
Quatre peintures de L8Zon dont une d’Arthur Rimbaud sur des fenêtres perdues dans la cour de cet immeuble situé entre la Maison de la Culture et des Loisirs Ma Bohème et la médiathèque Voyelles.
Ces œuvres sont visibles du 1er étage de la médiathèque et représentent outre Arthur Rimbaud, Charles de Gonzague fondateur de la ville, un détail architectural de la Place Ducale et la Marionnette Pinocchio pour la Cité des Arts de la Marionnette à Charleville-Mézières.
Le Comptoir de Mathilde, 34 Rue de la République
Dans le fond de la boutique, dessin représentant l’angle de la place Ducale avec l’Hôtel de Ville et le Dôme avec en médaillon de visage d’Arthur RIMBAUD
Dessin de Luc MAZAN qui réalise tous les dessins des boutiques Le Comptoir de Mathilde.
Nous finirons cet article non pas par une fresque, mais par un collage. Le fameux et très célèbre collage de Ernest Pignon-Ernest dans la fin des années 1970.
Le support est du papier journal récupéré dans des chutes de rouleaux non imprimés. Le Rimbaud est réalisé en sérigraphie et en noir sans aucun autre artifice. La pauvreté du papier fait que cette image est éphémère, fragile, un peu comme la période de production de Rimbaud dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle durera « L’Éternité ».
Si vous avez connaissance de réalisations murales intérieures ou extérieures sur notre poète Arthur Rimbaud à Charleville-Mézières, vous pouvez nous contacter afin d’augmenter notre article.
Sources
Ville de Charleville-Mézières
Creative Color
Radio RVM
Ardennes-Culture Rimbaud
Bac de français
Charleville-Sedan Tourisme
Le Journal L’Ardennais/L’Union
Le Collège Bayard de Charleville-Mézières